jeudi 18 juillet 2013

Traversée en voilier dans le Pacifique







"You fall, You Die!" La traduction mots à mots est ici juste et correcte. "Tu tombes, tu meurs!" Vérité crue, pas toujours évident à entendre, elle fait pourtant partie de la réalité de toutes ces marins, amateurs ou professionnelles, ayant décidés de traverser une mer, un océan...
 
Se retrouver à l'eau dans "la Grande Bleue" après être passé par-dessus bord, à plusieurs centaines de miles nautiques de toutes terres (1 mile nautique équivaut à 1,852 kilomètre), n'est pas un événement qui doit être envisagé. Voir rapidement s'éloigner l'embarcation sur laquelle tu te trouvais, quelques secondes auparavant, est, sauf miracle, la fin annoncée à court terme de ta vie... Mais la vie vaut le risque d'être vécue à fond, en réalisant ces rêves. Rien ne pourrait me faire reculer, l'envie de commencer ce projet est à son comble!
 

Je me suis rarement senti aussi petit et imble face à la puissance et à la beauté de la nature, que lors de l'expérience que je m'apprête à vivre. Pourtant, par la même occasion, le sentiment d'être vivant n'a jamais été aussi exacerbé qu'au cours de cette traversée. Ces moments de vie durant lesquels, je vais, avec l'équipage du catamaran Sarava, naviguer sur ce milieu liquide, resteront à jamais graver dans mon esprit.

Cet environnement magique, mais aussi parfois inhospitalité, recouvre plus de 70% de la surface de la terre! Naviguer sur les Océans sonnait alors, pour moi, comme une évidence, un passage obligé lors de ce Vol Libre autour du monde. L'opportunité devait se présenter à moi. Je vais la créer en concentrant tous mes efforts pour atteindre cet objectif. Ce rêve ancré dans mon esprit, depuis de nombreux mois, me fait maintenant face et va devenir réalité!

Voici venu le jour du grand départ, une grande première pour moi! Nous allons partir pour  traverser d'une partie de l'océan Pacifique. Le journal de bord que j'ai tenu au cours de cette traversée va vous transporter à nos côtés sur le catamaran, Sarava. Cette expérience, à vase clos, sur ce bateau, un Lagoon 55S, de 55 pieds de longueur (soit environ 16,2 mètres) et 9 mètres de largueur, sortie, il y a plus de 22 ans, des chantiers navals Jeanneau, va impliquer 6 personnes. Les protagonistes sont:

- le skipper Brésilien; André. Cela fait plus de 2 ans qu'il est en charge de ce bateau appartenant à un de ces riches compatriotes. Il est rémunéré mensuellement pour l'entretenir, effectuer les réparations nécessaires, et le convoyer dans les lieux où désire se rendre le propriétaire. Il a navigué dans le Pacifique. Il s'est déjà rendu deux fois en Polynésie Française. Il vient de passer sa troisième saison anticyclonique sur les terres néo-zélandaises et s'apprête à repartir dans les îles du Pacifique avec cette fois-ci la ferme intention, après l'aval de son patron, de prendre la direction du Nord et de rejoindre l'Océan indien.

- le chef cuisiner néozélandais; Adam. Il vient d'être recruté par André. Il remplace, Ben, brésilien, très bon ami d'André, qui vient de rentrer au pays pour créer une vie de famille avec son amie. Adam vient de travailler plusieurs années en tant que cuisinier sur de très gros bateaux de pêche qui partaient en mer pendant 3 mois consécutifs. La mer et les océans lui sont familiers mais il va effectuer sa première traversée en bateau à voile!

- Les quatre équipiers, ou matelots. Rosalie, canadienne, qui a déjà effectué plusieurs traversée et rêve un jour de posséder son propre bateau pour faire un tour du monde. Leigh, néo-zélandaise, qui connait André depuis plus de 3 ans, a toujours voulu navigué à ses côté. Elle vient seulement d'en saisir l'opportunité. Alexandros dit "Alex", espagnol, voyageur au long cours, qui lui aussi effectue pour la première fois la traversée d'un océan.  Il a soif d'apprendre dans le but de renouveler l'expérience quelques mois plus tard avec sa petite amie. Et moi-même, Tourdumondiste en plein Vol Libre!

6 personnes à bord, dont 5 novices! Cette équation aura une importance énorme sur le déroulement de cette expérience intense!


"Flashback", Retour en arrière, 15 jours auparavant, lors de notre arrivée, avec André, à Whangarei. Le bateau vient d'être amarré sur le quai de cette marina qui se situe en plein centre-ville! Adam est venu nous accueillir. Il nous apporte déjà quelques denrées alimentaires.

Je n'ai encore aucune certitude quant au fait que je vais prendre part à cette expérience. André ne m'a pas encore confirmé avec certitude le fait que je fasse partie de l'aventure qu'il s'apprête à vivre. Mais le périple que nous venons d'effectuer a été un vrai test, grandeur nature, que j'ai relevé haut la main! En parlant de mains, les miennes, bien amochées, sont tout de même hors de danger. La manœuvre d’affaler la grande voile mal effectué m'aura laissé de belles séquelles. Il me suffira de prendre soins de mes doigts meurtris pendant les jours suivants, de bien les nettoyer et de mettre de la crème pour m'assurer que mon corps puisse travailler à la réparation des tissus. Le remplacement de la peau qui a été cisaillée en une fraction de seconde prendra plusieurs semaines!

Je venais, lors de cette nuit de navigation, d'entrer dans le monde assez fermé des marins. Je vais avoir l'occasion de franchir un nouveau pas quelques jours plus tard. En effet, André me confirmera très vite, que je fais officiellement parti de l'équipage, qui embarquera à bord de Sarava, pour la traversée du Pacifique en direction de la Polynésie-Française. Je touche du bout des doigts la réalisation de ce projet. Je vais avoir le temps de savourer ces moments de vie à venir.

Vivre la vie de marin effectuant des traversées ne consiste pas seulement à naviguer, à partir d'un point pour arriver à un autre. Il y a d'autres étapes antérieures pour assurer la réussite du projet. Je vais vivre avec André, sur le bateau, pendant les 15 jours séparant notre arrivée à Whangarei et le départ définitif vers de nouveaux horizons. Je vais expérimenter la vie sur un bateau, dans une marina. Je vais voir et participer aussi à la fin de travaux, l'entretien, les derniers réglages et la phase de préparation d'un bateau avant son départ en mer!

Je prends rapidement conscience de l'ambiance très agréable et décontractée dans cette marina. Nos voisins marins n'hésitent pas à venir discuter avec nous. Les personnes sont souriantes, intéressantes, curieuses de connaître les projets de navigation à venir! L'entre-aide entre les différents bateaux fait partie du quotidien, sans aucune attente particulière ou contrepartie. L'âge moyen des marins partant pour un voyage au long cours est assez élevé. De nombreux couples entreprennent l'aventure et naviguent sur les différents océans, parfois depuis des années!

Nous allons faire la rencontre d'un personnage assez exceptionnel. Elle est anglaise et elle a 87 ans. Carole a acheté son catamaran avec son mari il y a 30 ans. Ils ont beaucoup navigué ensemble avant que ce dernier ne décède, il y a de cela quelques années! Carole a tout de même voulu continuer à perpétuer ce rêve. Elle le partage maintenant avec des équipiers qui désirent l'aider à continuer à avancer pour parcourir tous les océans de la planète! Elle part aussi en direction de la Polynésie Française. Mais son itinéraire semble très ambitieux, trop ambitieux. Contre vent et courant, elle veut se rendre sur l'île de Pâques puis vers les Galápagos! Je garde contact avec elle car j'ai la même idée d'itinéraire. Tous les marins avec qui j'évoquerais ce projet me disent tout de même que c'est un peu de la folie! Même si la traversée est possible dans ce sens et qu'elle a déjà été réalisée, elle ne sera pas des plus agréables, les manœuvres multiples et les dangers importants... Peut-être, prendrais-je l'avion comme je l'avais envisagé précédemment?

Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup de respect pour ces individus qui vont jusqu'au bout de leur projet, prêt à affronter tous les obstacles! André restera en communication avec elle, et son équipage, lors de la traversée. Ils utiliseront leur téléphone et internet satellitaires! Toujours bien de savoir que quelqu'un pourrait entendre un S.O.S. en cas de détresse ou de perdition! A cette époque de l'année, en Nouvelle-Zélande, beaucoup de bateau sont sur le départ pour rejoindre les îles du Pacifique. La plupart projette de se rendre dans les îles telles que Tonga, Fidji, Vanuatu, Papouasie, avant de partir plus au Nord, ou de redescendre vers le Sud pour la saison anticyclonique qui commence en Novembre!

Comme nous, tout le monde s'affère! Le planning des prochains jours n'est pas trop encombré. Mais finalement toutes les tâches mises bout à bout vont, une nouvelle fois, faire envoler le temps. Les journées vont se succéder à un rythme effréné! Il faut dire aussi que nous n'allons pas hésiter à privilégier les activités plaisirs et les bons moments! Nous ne négligerons néanmoins pas les tâches qui nous incombent pour avoir un bateau prêt le jour J.

Premières étapes faire appel à des sous-traitants. Ils réaliseront le peu de travaux pour lesquels André n'a pas les compétences requises. Le bricolage et le "système D" sont omniprésents sur le bateau. Mais il est important aussi de savoir reconnaître ces limites ou, parfois, le manque de matériel approprié. Nous enverrons donc par exemple le Taud de la grande voile à faire réparer, nous ferons appel à un spécialiste pour changer le revêtement qui tapisse le mur de la salle de vie; "le carré"!

Nous allons devoir aussi faire appel à de nombreux spécialistes dans l'équipement marin pour changer des pièces comme les WC (la chasse d'eau ne consiste pas à simplement appuyer sur un bouton. Il est nécessaire de pomper de l'eau de mer puis de l'évacuer grâce à une manette qu'il faut pousser de nombreuses fois). Nous nous approvisionnerons chez différents fournisseurs pour avoir sur le bateau de multiples pièces de rechange comme des filtres, courroies, alternateurs et démarreurs pour les moteurs diesels, pièces de rechange pour les toilettes. Nous allons mener de front avec André plusieurs petits travaux. Nous démonterons par exemple les Winch. Leur mécanisme (engrenages, roulements, rotules, axes) sont englués dans de la graisse de mauvaise qualité qui a tendance à bloquer leur rotation lors des manœuvres sur les voiles. Ce travail de longues haleines sera réalisé sur plusieurs jours, en se jouant des averses, qui ponctuent les premières journées à Whangarei! Pour faciliter encore plus les manœuvres, je vais coudre sur les écoutes et la drisse de la grande voile et les écoutes du génois (différents cordages reliés aux voiles et permettant de hisser ces dernières ou de les régler, en angle et en pression, en fonction de la force et de la direction du vent), des repères pour des réglages particuliers, les plus utilisés lors de la traversée. Nous ferons aussi le réglage et l'entretien des moteurs diesels en changeant des pièces d'usure. Pleins de petits autres travaux viendront se rajouter à la longue liste tenue à jour par André!

Pendant ces dix premiers jours, Nous allons vaquer aussi a de nombreuses autres activités ludiques. Le vendredi 10 Mai, nous partons en 4x4 à plus de 3h00 de route. Après avoir passé la ville de Kaitaia, sur la côte Ouest, nous atteignons le village d’Ahipara. C'est à cet endroit que nous allons quitter le bitume, pour nous avancer sur la plage. Puis nous allons longer la mer sur des rochers, où seul des engins tout terrain peuvent tenter l'aventure. Nous allons rouler jusqu'à un point réputé pour ces vagues et ces vents réguliers. L'endroit est idéal, en cette journée, pour sortir les planches et voiles de kite-surf et s'adonner à une activité mêlant glisse et vent que j'adore. Après de longues heures sur l'eau, et une chute quasi instantanée du vent suite à une grosse averse, nous reprendrons la route du retour. Cette dernière alternera entre un temps chargé de nuages grisâtres menaçant, d'énormes averses, de magnifiques arcs-en-ciel et un coucher de soleil qui transpercera les nuages!

Les apéros, barbecues, soirées vont se succéder... Nous les  partagerons avec les amis d'Adam, ou ceux d'André qu'il a rencontré et côtoyé les deux dernières années. J'associerai ces festins et ces bons moments avec d'autres moments un peu plus sportifs! Je vais aller courir une fois tous les deux jours atteignant plusieurs fois la magnifique cascade de la ville. Pour y arriver je longerai le cours d'eau en aval et traverserai des forêts splendides. Je me rendrais aussi à un point de vue sur les hauteurs d'un pic rocheux, je longerais les bords du canal menant au port... Lors d'une superbe journée, nous rejoindrons un ami d'André, responsable d'un club de surf. Il organise une compétition amicale régit tout de même avec les règles professionnelles! Nous en profiterons pour surfer une belle vague de plus d'un mètre un peu plus loin sur la plage.

Le temps est mitigé. Le beau temps succède aux averses, et inversement, provoquant ainsi l'apparition de nombreux arcs-en-ciel. L'hiver s'installe doucement et insidieusement aussi. La nuit les températures tombent parfois très vite. Elles participent à une sensation de froid saisissante. Ce phénomène est amplifié quand l'humidité de l'air ambiant s'en mêle. L'envie de partir, et d'en découdre avec l'océan, se font maintenant sentir dans les rangs. Adam est de plus en plus présent à nos côtés! Il prépare son départ de Nouvelle-Zélande, en libérant la maison qu'il occupe, en faisant le tour de ces amis pour leur dire au revoir Le bateau étant prêt à partir, André se rapproche du propriétaire afin d'obtenir son aval pour le départ. Le feu vert est donné!


Le départ est imminent. Les derniers jours défilent sans coup férir! Rosalie nous rejoint sur le bateau, le jeudi 16 Mai. Le plein des réservoirs diesel bâbord et Tribord sont effectués grâce à la venue d'un camion-citerne approvisionneur le vendredi 17. Le même jour, nous recevons l'ensemble des denrées alimentaires qu'Adam vient de commander chez un grossiste, qui ne livre qu'aux professionnels de la restauration. Les quantités délivrées sont gigantesques. Ils ont prévus, entre autre, 10 jours de nourritures gourmets pour la venue du propriétaire et de sa famille. Le congélateur présent à bord sera rempli de ces mets. Il faut aussi prévoir à manger pour les 6 membres de l'équipage. Les stocks ont été prévus pour un minimum de 20 jours. Les données prévisionnelles pour la traversée sont toujours de 15 jours. Mais il faut mieux être paré à tout imprévu! Le réfrigérateur déborde. Malgré un rangement draconien, un jeu de tétris bien maîtrisé, nous aurons du mal à le fermer. Des légumes jouent au touche-touche avec la crème, le fromage, le beurre, et la viande. Nous avons aussi trois énormes glacières où nous stockons les denrées périssables que nous consommerons en premier. Tous les placards, des rangements à sec (non sujet à l'humidité),  tel que sous la banquette du carré, seront optimisés.

"L'air de la mer fatigue mais il met aussi en appétit!" c'est bien connu. Adam, désirant manquer de rien, a donc prévu très large. La livraison comprend une quantité phénoménale de viande; des morceaux de bœuf, moutons, porc. Il y a aussi du saumon, du thon. Nous avons aussi fait le plein de fruits et légumes (salade, choux, carottes, tomates, concombres, pommes, oranges, bananes...) mais aussi de féculents (pâtes, riz, pommes de terre, lentilles...). Les énormes sachets de 5 kg de sucre ou de café, côtoient les sacs de plus de 10kg de farine. Nous avons aussi des sachets familles nombreuses de céréales, et de barres chocolatés... Je pense que le festin va continuer comme ce fut le cas lors des 15 jours passés dans la Marina. Nous avons eu le droit à des coquilles Saint Jacques pour plusieurs repas, des moules, du saumon, des steaks de bœuf fondant dans la bouche, des salades hautes en couleurs, du bon chocolat...

Après l'effort, le réconfort! Pour se récompenser de ce travail fastidieux, et de cette organisation drastique pour les denrées, mais aussi et surtout par envie de fêter l'expérience à venir, nous finirons la journée par un pot de départ! Nous serons plus d'une quinzaine sur le bateau. La soirée va se prolonger tard dans la nuit. Certains d'entre nous prendrons le risque de se réveiller avec un vrai mal de tête. J'ai abdiqué bien plus tôt, regagnant mon lit, avant même que certains sortent dans les bars du centre-ville. Le lendemain matin, le constat est immanquable! Plusieurs personnes se meuvent comme de vrais zombies. Ils passeront leur journée entre fainéantise, mal de tête et envie de rien! Je vais finaliser, de mon côté, les petites démarches que j'avais à faire et quelques achats, après être allé courir.

Nous devons quitter la marina de Whangarei, le dimanche 19 Mai. En effet, la commune construit un nouveau pont. Pour la finalisation et la jonction des deux rives, le canal menant à la mer sera fermé. Cela prend effet à partir du lendemain, pour une semaine. La fenêtre météorologique n'est pas parfaite pour ce jour. Alex et Leigh manquent encore à l'appel. André a donc décidé de se rendre à Marsden Coves. C'est une marina nouvelle et ultra-moderne, à l'entrée de la baie de Whangarei. Le départ est imminent. Il nous reste plus qu'à déterminer la meilleure date de départ et remplir l'ensemble des formalités douanières! André, Adam, Rosalie et moi-même, nous nous rendons dans la matinée pour faire les derniers achats en supermarché. Ces derniers pourront être vitaux pour certains mais aussi plaisirs. Nous achetons plus de 200 litres d'eau que nous stockerons sur le bateau en cas de problème du dessalinisateur. Nous faisons le plein aussi d'autres liquides tel que le lait, du jus de fruits, quelques boissons aromatisées.

André aime dire que le bien être de l'équipage passe par le bonheur du capitaine. Le chocolat est un élément à prendre en compte dans cette équation. Nous achèterons donc des tablettes de chocolat, du Nutella, des Kit-Kats...

Après 12 jours resté à quai, Il est temps de faire un pas de plus vers ce départ. Ce dernier ne fait maintenant plus du tout partie d'un projet ésotérique inabordable mais bien d'une réalité que nous allons vivre! Adam conduira le véhicule tout terrain d'André sur place. Moteurs allumés, nous faisons route sur Sarava, avec André et Rosalie, vers notre dernier port avant le grand large! C'est sous un grand soleil que nous amarrons le bateau au ponton. Leigh va nous rejoindre avant le coucher de soleil. Alex suivra à la nuit tombée. Pour la première fois, nous sommes enfin tous réunis. Nous passerons notre première nuit à 6 sur le bateau. J'ai, depuis l'arrivée d'Adam sur le bateau, regagné la petite cabine d'équipier que je vais partager avec Alex. Ca sera la première nuit que nous y dormirons à deux. J'ai choisi le lit superposé supérieur!

Le lundi 20 aurait pu être la date choisie du grand départ. Les conditions étaient idéales en début de soirée. Mais Leigh s'est rendue, en matinée, à Auckland pour faire les derniers achats nécessaires avant le départ (remplissage de la bonbonne de gaz, récupération de pièces commandées,...). Aucune possibilité d'effectuer l'ensemble des démarches douanières sans la présence de l'ensemble des membres d'équipage. Ayant d'autres obligations, le douanier sera déjà parti dans l'après-midi quand Leigh sera finalement de retour! Le départ est maintenant retardé au moins de 12h00! Mais Nous sommes fin prêts, en standby, déjà dans les starting blocks!

Me voilà finalement en face de cette expérience tant attendue! Je vais effectuer pour la première fois une traversée océanique. Le Pacifique va être notre terrain de jeu pendant les prochains jours. Mon journal de bord quotidien retracera au mieux ce qui va être vécu, à bord de Sarava.
 

Mardi 21 Mai 2013:

"Branle-bas le combat"! Tout le monde est levé de bonheur, prêt à en découdre avec la navigation: border, chopper, barrer, prendre un ris, en larguer un, abattre, lofer, affaler la grande voile vont très vite faire partie du vocabulaire commun sur le bateau. Ces mots s'accompagneront surtout de gestes quotidiens, de manœuvres pour régler le bateau. Tout cela sera impacté par les conditions météorologiques et l'état de la mer!

Être capitaine à bord implique aussi une certaine discipline, la prise de décisions pouvant mettre en péril le bateau et donc l'équipage. Sans dramatiser la situation, le skipper doit définir une route pour maintenir le cap et arriver à la destination désirée! Les fichiers météorologiques des 96h00 prochaines heures, qu'il reçoit grâce aux satellites, deux fois par jour, permettent d'affiner les décisions, et de redéfinir, ou non, le cap. Les données principales sont la direction et la force des vents dans la zone de navigation. Des vents de Nord-Nord-Ouest nous poussant vers l'Est sont prévus pour les prochaines heures.

Les démarches douanières sont nos dernières obligations avant de prendre le large. Tous nos papiers ont été pré remplis. La venue du douanier sera donc une simple formalité administrative. Nous larguons les amarres à 10h39. Départ de Whangarei en Nouvelle-Zélande: Latitude 35°51' Sud, longitude 174°40' Est. Nous avons, pour une trajectoire idéale, 2703 miles de navigation à parcourir avant d'arriver sur les archipels des Gambier en Polynésie française (2703 miles nautiques = 5006 kilomètres [2703 x 1,852])!

Des amis d'André présent dans la marina nous souhaitent "Bon Vent!" Nous ne sommes pas prêt de remettre un pied à terre. Sauter, par-dessus bord, pour rejoindre le rivage, serait la seul façon pour un membre de l'équipage de ne pas être de la partie navale à laquelle nous faisons face.  Qui pourrait être pris de cette soudaine peur de l'inconnu? Aucun des 6 membres ne sera submergé par un tel sentiment de terreur. Bien au contraire, le moral est au beau fixe, l'excitation monte dans nos rangs. Je me trouve, avec Rosalie, sur le trampoline à l'avant du bateau (filins tissant une vrai toile élastique sur une surface de plusieurs mètres carrés. Ils relient les deux coques et le "bout dehors" au centre). Nous avons un sourire qui monte jusqu'aux oreilles. Nous avons envie d'exulter, de sauter partout mais calmeront nos ardeurs et feront simplement un peu les fous!

La mer est calme, le ciel est bleu, l'ambiance est électrique. Nous allons voir tout au long de la journée les côtes s'éloigner petit à petit. Les conditions sont parfaites pour effectuer l'apprentissage des manœuvres rudimentaires de la voile et de s'assurer de nos capacités à répondre efficacement à la demande de manœuvre du capitaine. André est un skipper expérimenté. Marin aguerri, il a commencé à faire de la voile à l'âge de 11 ans. Il sera nous donner de précieux conseils. Il va garder son sang-froid à mainte reprise malgré qu'il ne soit pas le meilleur pédagogue, existant sur la planète terre. Les coups de gueule, qu'il poussera, sont apparemment monnaie courante chez les skipper vis-à-vis de leurs matelots. Cette règle est encore plus vraie quand ces derniers n'effectuent pas parfaitement, et dans un bon timing, la manœuvre demandée!

Nous allons rapidement passer en revue les mesures de sécurité, les règles à respecter pour éviter de se mettre en danger. Il y a par exemple le port du harnais que l'on attache à la ligne de vie lors de manœuvres, particulièrement par gros temps, ou la nuit. Le fait de ne pas sortir du cockpit sans être précautionneux est une règle de base pendant la journée. Ce mouvement est totalement proscrit en pleine nuit, exception faite des manœuvres.

André nous conseille, principalement aux hommes, de ne pas nous soulager la vessie par-dessus bord! Une statistique démontre que plus de 50% des naufragés, retrouvés morts après être passé par-dessus bord, ont la braguette ouverte!

Nous apprenons les quelques dispositions et procédures en cas d'homme à la mer. Mais encore une fois la prudence est mère de sûreté! André aime nous rappeler l'adage terrifiant et morbide, vérifié tout de même à plus de 95%: "Tu tombes, tu meurs!" Bizarrement tu n'as pas envie d'essayer pour, peut-être, avoir une histoire de miraculé à raconter...

Une routine va s'installer rapidement. Même si elle va être aussi, et très souvent, cassée par des événements impromptus.  Le quotidien va se régler par certaines obligations. La première, la plus importante, est celle des Quarts. En effet, le bateau est en perpétuel mouvement, 24h00/24. Il est lancé de jour comme de nuit à travers cette étendue d'eau infinie. Il faut donc toujours une personne, au moins, pour surveiller la course du bateau, les possibles changements météorologiques, être prêt à manœuvrer, faire le guet assez régulièrement, et s'assurer qu'il n'y a aucun danger potentiel, tel qu'une possible collision avec un autre navire... Faire un quart consiste donc pour un individu à être réveillé, être attentifs au bateau et à l'environnement dans lequel il évolue. Etant 6 personnes à bord, et pour permettre une meilleur convivialité, il a été décidé d'un commun accord d'une organisation bien ficelée. Nous sommes 5 à faire des quarts de 4h00. Il y a toujours 2 personnes simultanément. Mais une rotation s'effectue toutes les 2h00. A la fin de son quart, le matelot a 6h00 de "quartiers libres" avant de reprendre une nouvelle veille de 4h00 et ainsi de suite! L'ordre des personnes en quart va se faire par tirage au sort. Pour ma part, je succéderais à Leigh. Je ferais les deux premières heures de mon quart avec Alex, puis les deux suivantes, avec Rosalie, avant qu'Adam me succède. Cette organisation qui pouvait être amenée à évoluer au cours de la traversée, restera finalement figée! Je vais donc passer beaucoup plus de temps avec Alex et Rosalie qu'avec n'importe quel autre membre de l'équipage! A la lumière du jour, des vas-et-viens réguliers de personnes se produisent. Mais la nuit, c'est majoritairement à deux que nous retrouvons.

André n'est pas comptabilisé dans cette rotation journalière. Etant la seule personne expérimentée à bord, il se doit d'être présent à toutes les manœuvres importantes. Il est en alerte permanente. Même en plein sommeil, par habitude, un changement du comportement du bateau, une grosse modification des vents ou de l'état de la mer, le réveilleront instantanément. Dans le monde marin, il est dit qu'il y a "Dieu, les hommes, et le skipper" et que très souvent en navigation le "skipper se prend pour Dieu". Cette traversée sur Sarava ne dérogera pas à la règle! J'aurais l'occasion de m'y appesantir un peu plus longuement ultérieurement.

Parmi les activités régulières, il y a entre autre la tenue du carnet de bord. Il s'agit à chaque changement d'heure de relever la position précise du bateau, les conditions météorologiques, la barométrie, le vent, la force et la hauteur des vagues et de la houle, la distance restant à parcourir jusqu'à la destination finale et la distance effectuée la dernière heure par rapport à cet objectif! Certains commentaires sont ajoutés au moment opportun comme le fait d'avoir effectué une manœuvre, un fait de bord particulier, le lever et coucher du soleil... Puis, il y a des activités un peu plus routinières, tels monsieur et madame tout le monde. Par exemple le fait de laver la vaisselle, de faire un peu de ménage, de travailler sur certains projets personnels, écouter la musique, lire ou regarder des films...

Nous essaierons autant que faire se peut, de partager nos repas ensemble, au moins le déjeuner le dîner! C'est un vrai bonheur d'avoir un chef cuisinier expérimenté à bord! Nous allons manger de très bons produits et de la bonne cuisine. Adam va très souvent préparer les repas. Mais il ne sera pas le seul. Chacun mettra la main à la pâte et nous proposera une de ces spécialités culinaires...

Lors de mon quart, après 14h00, nous avons en visu, à tribord (à droite du bateau quand on regarde vers l'avant du bateau, dans le sens de la navigation / bâbord est à gauche), un gros cargo. Etant un bateau à voile, nous sommes prioritaires sur lui. Il passera finalement derrière nous, à vive allure, après avoir modifié légèrement son cap. Nous ne le savons pas encore mais ça sera le dernier navire que nous allons voir avant longtemps!

Cette première journée promet une traversée sensationnelle. Tout le monde est content d'être là, de tenter une expérience qui reste toujours forte même si ce n'est pas une grande première pour tous! Pour Leigh, Alex et moi-même c'est le cas! Pour Adam, c'est une grande première en voilier. Rosalie en est à sa quatrième mais celle-ci sera probablement la plus longue jamais effectuée. Même André le plus aguerri n'en est qu'à sa neuvième traversée! En gros ce que nous vivons n'est pas un acte quotidien même pour les marins amateurs au long cours! La côte s'éloigne inexorablement. Puis elle va finir par disparaître dans les nuages.

Mercredi 22 Mai:

A mon réveil, le soleil et le ciel bleu sont présents! A 360°, nous sommes maintenant entourés par cette masse d'eau gigantesque à perte de vue! D'ailleurs cette dernière ne va pas rester paisible très longtemps! Petit à petit, le vent forcit, la houle se forme! Le bateau perd assez vite de sa stabilité. Il commence à subir de plus en plus les effets du roulis (mouvement de balancier d'un côté sur l'autre) et du tangage (mouvement de balancier de l'avant vers l'arrière)! Très rapidement, certains membres de l'équipage vont expérimenter le fameux "Mal de Mer"! La coupable est toute désignée, c'est l'oreille interne! Le monde mouvant des océans joue avec le cerveau humain. Il lui fait perdre ses références, ses repères. Et oui, nous ne sommes plus sur notre bon vieux plancher des vaches qui ne bouge pas! Les conséquences peuvent être désagréables: Maux d'estomac et de tête, Sensation d'être nauséabond. L'envie de redonner en offrande à la mer et à dame nature, la nourriture que nous venons d'ingurgiter, peut devenir la seule solution! Les pires ennemis quand la personne y est sensible sont la mer agitée, les mouvements permanent, le fait de se concentrer sur quelque chose en particulier... Comme en voiture, le fait de lire, de jouer à un jeu, de façon plus général, d'utiliser sa vision de prêt est à proscrire. Un des meilleurs remèdes est de sortir prendre un grand bol d'air à l'extérieur et de concentrer son attention et sa vision sur un point fixe à l'horizon. Le grand huit mental que fait le cerveau se transforme alors petit à petit en manège pour enfants... Mais à en croire, les personnes atteintes par ce syndrome désagréable, cela ne suffit pas forcément. La personne la plus touchée est Alex. Il est talonné de près par Leigh. Rosalie aura lors de la traversée quelques signes de Mal de mer mais elle ne sera pas plus toucher que cela.

Selon les marins, il n'existe pas vraiment de traitement garanti. Le fait de s'amariner (c'est à dire de devenir de plus en plus marin) serait le meilleur des remèdes. Si cela ne marche pas, un institut français, localisé à Brest, aurait inventé une thérapie de choc pour supprimer les effets du Mal de Mer. Et puis tout le monde n'a pas le pied marin! Il faut parfois être conscient de ces capacités et savoir renoncer... A moins d'aimer souffrir et être dans un état de déchéance totale! Je l'ai vu déjà auprès de marins professionnels travaillant sur un bateau militaire et qui ont le mal de mer pendant au moins 24h00 à chaque fois qu'ils reprennent la mer

Je n'ai pas ce problème. Comme André et Adam, je ne montre et ressent aucun signe latent d'atteinte de ce mal.

La journée, temporellement parlant, s'évapore comme sous l'effet du soleil qui darde ses rayons sur la surface liquide bleuté des océans. Cet astre roi se couchera à 17h00, heure locale néozélandaise. Il marquera ainsi la fin d'une belle journée!

En début de soirée, à 20h35, je suis de quart avec Alex quand un événement  des plus intéressants se produit! Pour s'en rendre compte, nous avons les yeux rivés sur le tableau lumineux du système de navigation et sur la localisation spatiale du bateau et nos coordonnées!

Le relevé à 20h00: est de 2449 miles à parcourir jusqu'à destination, mais surtout 35°27' Sud 179°56' EST.

Le relevé à 21h00 est le suivant: 2440 miles à effectuer, 35°28' Sud 179°45' OUEST.

La latitude est définie par rapport à l'équateur. Les informations des deux relevés, à une heure d'intervalle, nous apprend seulement que nous restons sur un même parallèle. En revanche la Longitude, dont le zéro se trouve sur la ligne de Greenwich (passe quelque part en Angleterre) est passée du secteur Est de la terre au secteur Ouest. Cela nous apprend quelque chose d'inédit, unique au monde. Non seulement, nous changeons de fuseau horaire à cet instant. Mais nous venons aussi et surtout de faire un bond dans le passé en retournant une journée en arrière, 23h00 plus tôt. En Polynésie, nous sommes encore le Mardi 21 Mai.

Pour conserver une logique sur le bateau et avoir un carnet de bord décent, nous conservons l'heure de la Nouvelle-Zélande, point de départ. Nous nous ajusterons temporellement seulement quand nous arriverons sur notre nouvelle terre d'accueil!

Le vent augmente progressivement, la mer se forme de plus en plus. A la fin de mon quart, juste avant minuit, nous prenons un ris (cela équivaut à diminuer la voilure, donc la taille de la grande voile. il s'agit de descendre la grande voile en donnant du mou au niveau de sa drisse. Prendre un seul ris implique le fait de descendre jusqu'au niveau suivant, où on peut de nouveau la bloquer et la mettre en tension. Un Anneau sur la grande voile est tenu par un système de fixation au mât! Des cordages passent dans la bôme. Ils sont reliés à la voilure, à son extrémité, au niveau de la poupe [arrière] du bateau pour tendre cette dernière).

le bateau est un peu secoué mais je pars me coucher tranquillement pour passer une deuxième nuit tranquille sur le bateau et me réveiller pour mon prochain quart dans 6h00!

Jeudi 23 Mai:

"Est-ce la fin d'une belle aventure? Le bateau va t'il se déchiqueter en mille morceaux? Est-ce déjà la fin de nos jeunes vies?" Toutes ces questions vont submerger mon esprit alors que je suis réveillé en sursaut, peu de temps après que je sois allé me coucher!

Des éclairs déchirent le ciel. La lumière, pénétrant par les hublots, au-dessus de ma tête, et sur le côté, est intense! J'y vois, par intermittence, comme en plein jour. La tempête fait rage! Les bruits sont assourdissants! Le tonnerre participe à cette ambiance macabre. Mais le plus impressionnant reste les vagues venant frapper les coques du catamaran! On pourrait se croire en temps de guerre. J'ai le sentiment d'être sur un champ de tir et de mines. Sommes-nous bombardés par des avions, canardés par les chars, ou recevons-nous des grenades d'artilleurs? Peut-être avons-nous été avalé par un rouleur compresseur marin qui voudrait aplatir le bateau?

Je n'ai jamais vécu une telle expérience. J'ai l'impression de vivre un cataclysme! Mes sentiments sont confus. A l'intérieur j'ai maintenant le sentiment d'être dans une machine à laver... je ne peux pas rester figé. Je me dois de faire quelque chose. Je ne peux pas être rassuré, alors que les bruits, et la résonance à l'intérieur de la coque donnent l'impression que le bateau va se fissurer en deux! Je ne peux pas rester allongé dans ma couchette. Je décide de monter dans le carré! Ce dernier est vide. Les vagues passent au dessus du bateau. La houle de vent arrière nous fait surfer des vagues monstrueuses. La lumière est toujours aussi intense et les bruits sourds viennent définitivement mettre à mal mon sang froid! Rosalie et Adam sont dans le cockpit, à l'extérieur.  Ils se tiennent fermement à ce qu'ils peuvent. Impuissants, ils admirent un spectacle stupéfiant et terrifiant. André est aux manœuvres. Il affale la grande voile et règle le bateau. L'objectif est que le bateau puisse le mieux possible subir les éléments naturels qui se déchainent. Nous ne naviguons plus qu'avec le Génois, déployé seulement à 40%  de sa voilure totale (Voile à l'avant de petite importance. Sur ce bateau, l'enrouleur sur lequel il est monté, permet de plus ou moins ouvrir cette voile. Sur d'autres bateaux, ils possèdent des voiles avec emmagasineur. Ils ne peuvent donc pas déployer une des voiles avant de façon partielle. Pour pallier à ce manque, ces derniers possèdent plusieurs voiles à l'avant; la trinquette, le génois, le phoque, le Spinnaker qu'ils déploient selon la force des vents). Malgré cela, nous avançons toujours à plus de 10 nœuds de moyenne (10 Knots en anglais = 10 nœuds = 10 miles/h =18,52 km/h). Des rafales de vent dépassent les 49 nœuds (environ 83 km/h). Nous naviguons dans des creux de plus de 8 mètres de hauteur dépassant parfois et allégrement les 10 mètres (soit un immeuble à deux étages)!

Pas de panique, un marin ayant parcouru plusieurs océans aura sûrement été confronté à des conditions plus extrêmes que celles-ci! Mais pour une deuxième nuit d'une première traversée, nous sommes gâtés! Après de longues minutes, je regagnerais finalement ma couchette. Il me faudra encore un peu de temps pour faire abstraction des éclairs et des bruits des vagues venant s'écraser sur la coque.  Finalement j'arriverai à trouver le sommeil!

C'est au grès du soleil que je me réveillerai juste avant mon quart, à 5h55! L'astre central de notre système solaire se lève doucement sur cette partie du globe terrestre, avec de jolies couleurs qui illuminent l'horizon. Les conditions sont moins extrêmes que pendant la nuit. Le beau temps est au rendez-vous mais les vents sont toujours assez forts. Nous surfons sur des vagues de plus de 5 mètres. Elles viennent de l'ouest et nous poussent donc par l'arrière. Petit à petit, le vent se stabilise nous permettant de remettre la grande voile au deuxième ris (sur une majorité des grandes voiles, ils existent trois ris. Il y a donc cinq positions: Pleine Voile, 1ier ris, 2ième ris, 3ième ris, et voile affalée). Pendant la journée nous commençons à trouver notre rythme de croisière! Quand nous ne sommes pas de quart, nous passons notre temps à discuter, lire, regarder un film, écrire, jouer à des jeux de société. Enfin pour ceux qui peuvent se le permettre sans risquer de se sentir mal! C'est pourquoi Alex et Leigh passerons la plupart de leur temps allongés dans leur lit ou sur la banquette du salon, en fermant les yeux, pour supprimer autant que possible ce mal qui les habite!

Je vais de mon côté, à plusieurs reprises être le Timonier (l'homme à la barre). J'apprends, petit à petit, à manier la roue à gouverner qui permet de faire tourner le bateau. Le mouvement de rotation de la roue se transforme en mouvement angulaire, dans l'eau, des safrans. Au nombre de deux, ils se trouvent sur les 2 coques à l'arrière.

J'essaie de garder le cap, d'avancer le plus droit possible. Le courant et surtout les vagues que nous surfons avec le bateau et qui ont tendance à nous déporter, ne me facilite pas le travail. Je vais aussi être le Gabier (homme manœuvrant les voiles) lors de mon quart quand, avec André et Alex, nous larguerons un ris!

La nuit arrive très vite! La lune est presque pleine. Tel un lampadaire géant pour voilier, elle illumine la nuit, l'océan. Elle nous permet d'y voir presque comme en plein jour! Je vais assister à un phénomène inédit pour mes yeux. Un arc-en-ciel dû à la lumière de la lune. En effet, des grains (fortes averses souvent de courtes durées qui ont une fâcheuse tendance à créer des vents puissants beaucoup plus forts que le vent établi) sont présents autour de nous! La lumière de la lune est, cette nuit-là, suffisante pour voir un bel arc-en-ciel se former. Il est moins lumineux que ces frères de jour. Mais n'ayant jamais pu en observer un auparavant, je resterai sans voie!

Vendredi 24 Mai: 

Mon quart de nuit va être intéressant. Nous participons dans la nuit à un virement de bord pour redresser le cap, suite à un changement de direction du vent. Le seul moyen de bien maîtriser les manœuvres sur un bateau est de les répéter encore et encore après avoir théoriquement compris le principe. Il est important de connaître les cordages et leur fonction, la fonction des bloqueurs... Cela me réjouit de pouvoir le plus rapidement possible avoir assez de connaissances pour être capable un jour, si jamais j'en ai envie, d'être totalement indépendant pour cette activité. J'aime le fait qu'elle soit au plus proche de la nature. Il n'y a pas tant de variantes que cela, mais elle reste complexe. Une petite erreur, une faute d'inattention peut parfois avoir des conséquences désastreuses, voir fatales!

Peu de temps après, nous assistons, avec Alex, à un magnifique coucher de lune orangée à l'horizon. Le changement est brutal. La nuit est maintenant totale. Cela fait presque peur de sortir dans le cockpit. Nous avançons dans une masse noire sans plus aucun repère, si ce n'est parfois quelques étoiles qui peuvent être considérée comme des lueurs d'espoir. Le lever du soleil va finalement arriver 4h00 plus tard, embrasant le ciel après lui avoir redonné des couleurs.

La matinée devrait être plus calme. Un problème avec le générateur électrique va un peu contrecarrer nos plans initiaux! Un bateau est une vraie ville en miniature qui se doit d'être totalement autonome. Bizarrement, Sarava, n'est ni équipé d'éolienne, ni de panneaux solaires. Ces moyens de production d'énergie sont pourtant très courants sur des bateaux effectuant des voyages au long cours. Encore une fois, nous pouvons constater que le propriétaire n'a pas de soucis financés, et n'est pas forcément très soucieux de l'environnement! Il n'a surtout pas transformé son bateau de série, en un bateau de navigation économique et écologique. Quoi qu'il en soit, nous sommes totalement dépendants de cette énergie fournie par ce générateur, qui fonctionne au diesel. L'électricité créée permet d'alimenter les systèmes du froid pour le congélateur et réfrigérateur, les éclairages pour la navigation, tous les appareils électriques à bord, les lampes. Un des plus gros consommateurs d'énergie, que nous utilisons quasiment en permanence, est le pilote automatique. N'étant pas sûr de pouvoir réparer la panne, André envisage le pire. Il décide de diminuer le plus possible notre consommation.

Le fait de barrer manuellement, qui était un plaisir, devient maintenant une obligation. Nous allons nous relayer à la barre progressant ainsi considérablement dans le maniement de cette dernière. Le fait de garder le cap implique de faire corps avec le bateau et de savoir analyser les éléments extérieurs que sont le vent, le courant, et le déplacement de la houle et des vagues. Un bon positionnement du bateau par rapport à ces trois éléments  engrange une vitesse spectaculaire du bateau, qui accélère encore plus quand il surfe une vague. En revanche la sanction peut être sévère au moindre écart, surtout par ce vent arrière qui a maintenant tourné plein ouest! Le pire des scénarios, redouté par tant de marins, c'est l'empannage! En effet, si le bateau est mal positionner par rapport au vent, ce dernier peut très rapidement s'engouffrer du mauvais côté de la voile et engendré une brutale rotation de la bôme. Le risque majeur est de casser du matériel vital pour le bateau tel que le chariot de grande voile (qui permet normalement doucement de la faire glisser d'un côté à l'autre du bateau), la bôme, voir même dans des conditions extrêmes le mât.

Malgré ces conditions de mer agitée, la journée est belle! De nombreuses averses, intenses mais de faibles durés, produisent des arcs-en-ciel en pagaille! Au total dans la journée, j'en compterais plus de 11, dont deux doubles. Les couleurs ressortent de façon ahurissante et tellement flashies! Je viens, je pense, d'en voir plus que je n'avais jamais eu l'occasion d'en visionner en une journée!

Depuis le début, de nombreux oiseaux tournent autour du bateau. Ils viennent faire les curieux. Sont-ils intrigués par cet objet flottant qui pourrait leur servir de terre d'exil, ou plutôt d'accueil? Veulent-ils se reposer un peu au beau milieu de cet océan avant de reprendre leur envol? J'opterai plus pour la solution de la nourriture facile, assimilant notre voilier aux nombreux bateaux de pêche qui sillonnent les mers. Nombres de ces oiseaux me fascinent, surtout quand ils font du rase-motte au-dessus des vagues, épousant parfaitement le relief de la mer pourtant bien formée. Je suis en extase spécialement devant les albatros. Mais d'autres oiseaux magnifiques vont aussi, et finalement, gagner mon cœur!

Une journée aussi belle peut se composer que de bonnes nouvelles. Après beaucoup d'essais, de tentatives de réparations et quelques coups de téléphone au fournisseur, grâce au téléphone satellitaire, nous trouverons finalement la solution pour réparer le générateur. Nous avons cherchés une solution compliquée, la possibilité de court-circuiter un composant pour supprimer le message d'erreur. Il nous suffira finalement de déconnecter et reconnecter un câble pour que ce dernier fonctionne, tel un appareil neuf! Une mauvaise connexion quelque part dans un circuit électrique et les problèmes arrivent rapidement. La facilité d'accès au lieu en cause nous simplifiera énormément la vie!

Le coucher de soleil intense viendra ponctuer la fin d'une journée parfaite de navigation.

L'arrivée de la nuit noire s'accompagne immédiatement d'un temps se durcissant, de vents changeants, et de vagues, qui font varier notre cap d'un angle de plus de 80° lors de surf énormes! Peut-être que les effets de la plein lune qui affectent aussi bien les marées que les événements climatologiques sont à mettre en cause? Quoi qu'il en soit, il n'y aucune comparaison, de mon point de vue, entre cette soirée et la nuit précédente. L'habitude participera aussi à une sensation de confort plus grande. Malgré tout, les mouvements de roulis et de tangage sont toujours présents! Toujours courte, la nuit sera complète et effectuée d'une traite me concernant!

Samedi 25 Mai:

Le temps s'est calmé, la houle est moins forte mais le vent réel continue de souffler à plus de 25 nœuds de moyenne. Le vent apparent, résultant du vent réel et de la vitesse du bateau est d'un peu moins de 20 nœuds. Le vent vient du Sud Est!

Nous allons encore avoir la chance de pouvoir admirer plusieurs arcs-en-ciel. Je vais barrer pendant plus de 4h00 en fin de matinée faisant d'immenses progrès dans la conservation d'un cap donné, et la capacité à conserver une vitesse rapide, la plus constante possible.

En milieu d'après-midi, André est à la barre. Il va nous faire une vraie leçon de navigation. Il joue en permanence avec la roue à gouverner pour redresser le cap et positionner le bateau parfaitement dans la vague. Son but est de prendre le plus de vitesse possible, et surtout de ne pas en perdre après avoir fini de surfer sur la vague. Il se concentre sur le côté du bateau. L'idée est de prendre initialement de la vitesse sur une petite vague. Le milieu du bateau est un bon indicateur pour positionner le bateau. Avec cette vitesse initiale, sur des vagues de faibles amplitudes, le bateau est en mouvement. Il file sur l'eau et va pouvoir surfer la vague comme désiré.

Le vent va s'affaiblir au fur et à mesure de la soirée. Nous larguons un premier ris, puis nous remontons la grande voile à son zénith. Nous allons nous retrouver très rapidement dans l'œil de l'anticyclone.



Dimanche 26 Mai:

La mer est plate, le vent quasi nul, au réveil ce dimanche matin! La grande voile est affalée, et le phoque roulé. Les moteurs ont été allumés. Nous assistons, avec Rosalie, à un super lever de soleil pendant notre quart. Toujours aucun bateau en vue! Nous sommes au milieu de nul part ou plutôt en plein milieu de l'océan. Si nous coupions les moteurs, nous serions, à cet instant, à l'arrêt total. Le calme et la plénitude des sens seraient au rendez-vous! Pourtant ce n'est pas du tout le ressentiment! La cause est simple; les moteurs qui font vibrer toute la structure et qui produisent un bruit assourdissant constant!

Le bruit du vent dans les voiles est un phénomène beaucoup plus doux à mes oreilles. Mais l'homme a une faculté d'adaptation impressionnante. Et je préfère pour ma part "voir le verre à moitié plein, plutôt que le verre à moitié vide"! Le vacarnaum du moteur devient très vite un bruit de fond. "Je n'y pense plus et en plein milieu de l'océan, j'admire la couleur de l'eau qui est d'un bleu incroyable!" L'eau n'est vraiment pas froide par rapport à l'idée que je m'en faisais. Elle atteint, au thermomètre marin dont est équipé Sarava, 18°C.

Ce temps se prête parfaitement à quelques modifications et réglages nécessaires sur le bateau. Nous coupons les moteurs alors que le vent commence à souffler suffisamment pour avancer grâce à la pression de ce dernier sur les voiles. Pour ma part, Je vais m'enfermer dans la cale arrière bâbord à côté du moteur diesel. Je vais remplacer un détecteur de niveau d'eau abîmé par l'action du temps. Il est maintenant inefficace. Il ne remplit plus son rôle d'indicateur de cale trop remplie d'eau. L'alerte indique la nécessité qu'elle soit purgée. Je modifie aussi une valve de circulation d'eau pour le refroidissement du moteur. Je trouve cela intéressant de mettre les mains dans le cambouis!

Ce qui m'amuse encore plus, c'est le fait que je ne fasse pas du tout ce genre d'activités dans ma vie de tous les jours, et encore moins dans mon activité professionnelle. Pourtant quand je dis à des inconnus que j'ai un diplôme d'ingénieur mécanique, il m'associe spontanément à ce genre d'activité. Le nez plongé dans le moteur! Non je ne suis pas un mécanicien! "Détrompez-vous les amis, Mes deux derniers emplois en tant que responsable de projets spécifiques dans l'industrie de l'imprimante pour cartes plastiques,  puis de responsable de l'équipe de support pour toutes questions techniques à un client étranger dans la construction de sous-marins, ne me donnent pas de compétences particulières dans la réparation propre d'un moteur! Je possède tout de même des bases acquises lors de mes études et des travaux pratiques liés à ces dernières!"

Quoi qu'il en soit, je vais réparer le capteur, le moteur et sa valve en quelques minutes. Cela sera fait sous l'égide des conseils avertis d'André! En effet, Skipper d'un tel engin ne demande pas seulement d'être un surdoué en navigation, ou d'être un expert du choix de la route et du cap à suivre! Il faut, autant que possible, être polyvalent. Avoir des bases en mécaniques, en électronique, en menuiserie, en climatologie et météorologie...  sont presque une nécessité pour éviter des problèmes insolvables, esseulé en pleine mer! La partie logistique et la préparation d'un tel périple se doivent d'être aussi bien ficelés! 

Ce début de matinée très occupée s'accompagnera ensuite d'un super petit-déjeuner. Au menu: omelette aux fromages, sandwich toasté avec beurre, jambon, tomate, et gruyère, et des fruits. Il y a aussi un breuvage de notre choix: café, thé, et chocolat froid ou chaud. Les activités s'enchaînent avec dans le cockpit une séance de Yoga puis de musculation pour les personnes motivées. Cela fait un bien fou de se détendre, de s'étirer et de pouvoir pratiquer un peu d'exercice physique! Surtout que sur le bateau les repas sont copieux, riches et en abondance! Nous avons tous les jours le droit à une nouvelle viande (bœuf, agneau, porc), des plats en sauce, accompagnés avec des légumes mijotés dans le beurre, ou à la crème, du pain et du fromage, de la salade,  des fruits, du chocolat. Il ne manque plus que le vin, prohibé sur Sarava pendant la traversée, et nous aurions de vrais repas de fêtes! Mais vous comprenez très bien pourquoi cette abondance et le peu d'activité physique réellement possible peuvent à un moment ou à un autre ne pas convenir à nos organismes. En tout cas, pour moi, physiquement et mentalement parlant, cela n'est pas envisageable sur une durée trop longue!


Lundi 27 Mai:

le temps s'est couvert petit à petit. Une ambiance grisâtre est venue remplacée ce festival de couleurs mêlant le bleu, le jaune, le rouge, le blanc, et la palette des couleurs visibles à l'œil nu, délicieusement peinte, et créant ce phénomène suivant la courbe de notre belle planète terre; l'arc-en-ciel!

En termes de navigation, nous allons être bénis des dieux. Le temps est parfait! Le pilote automatique restera le barreur attitré de la journée. Les hommes de quart  doivent seulement faire le tour du propriétaire toutes les 20 minutes environ. Ils vérifient qu'ils n'y a pas de bateau à l'horizon, que le bateau garde le cap souhaité, que le réglage des voiles est affiné pour conserver la meilleur vitesse possible.

Le vent est constant, environ 20 nœuds de vent apparent. Toutes voiles hissées, nous filons à une moyenne horaire de plus de 9 nœuds, sans être secoué, en raison d'une mer calme. Cela mérite un petit complément d'explication. Sur ce bateau la vitesse idéale est autour de 10 noeuds (soit pour rappel 18,52 km/h). Le catamaran offre sur l'eau cette possibilité de vitesse incroyable que les monocoques n'égaleront jamais. Sur un monocoque de série pour grand public, une pointe horaire de 7 nœuds est considéré comme exceptionnelle. La stabilité d'un catamaran et son confort ne sont pas comparables avec le fait qu'un monocoque, sous voiles, à une tendance viscérale à la gîte. Si vous combinez ce  phénomène avec une tendance accentuée au roulis et au tangage, vous diminuez sérieusement les performances d'un bateau. Le catamaran a aussi la faculté, par vents assez faibles, et avec un angle apparent idéal, de pouvoir utiliser la vitesse du vent réel au maximum de son potentiel. La vitesse du bateau peut alors coïncidé avec la vitesse du vent! En revanche, un vent arrière ou un vent de face, ne sont pas une bonne chose pour tout type d'embarcation, mais encore plus pour un multicoque. Avec un vent de face par exemple, il est nécessaire de tirer des bords. C'est à dire qu'il faut multiplier les manœuvres pour réussir à avancer en zigzague. Le catamaran à besoin d'un angle apparent minimum de 30°, pour être efficace. Ce chiffre tombe à moins de 15° pour un monocoque.

Les arguments en faveur de l'un et l'autre des bateaux sont multiples. Une bataille rangée d'arguments fait rage entre monocoque et multicoques sur les pontons (gîte, tirant d'eau, roulis, tangage, rôle de balancier de la quille lestée présente ou non, impliquant la possibilité de ne pas se retourner définitivement, ou de se retrouver tel une tortue sur sa carapace pour le multicoque, le fait de taper ou non dans la vague en raison de l'effet tunnel [liaison entre les deux flotteurs du multicoque], espace de vie, et confort au mouillage...). Les puristes affirment que seul un monocoque permet de vraiment vivre et ressentir la navigation. N'ayant pas une expérience très importante dans la navigation à voile en général, et hauturière encore moins, je ne me permettrai pas de juger.

J'aime l'espace de vie très grand d'un catamaran aussi bien dans le carré par mauvais temps que dans le cockpit par ciel bleu! Nous allons beaucoup en profiter lors de cette journée. Nous vaquons à divers activités. Les parties d'échec vont se multiplier, d'autres regarde des films, fabrique notre pain du jour, jouer à la console vidéo lorsque le générateur est allumé, regarde un film,... Certains ne vont pas mettre un pied dehors lors de cette journée, vivant comme dans un appartement, une vie recluse, sans contact avec la réalité du monde et de l'environnement qui les entourent. J'ai pour ma part, besoin de sentir la brise du vent, d'admirer la vue à l'infini, de regarder l'océan s'écouler sur les deux flotteurs du catamaran, qui avance à allure constante... En fin d'après-midi, tel un dimanche en famille sous la grisaille, nous nous retrouvons tous autour de la table pour jouer à des jeux de société!


 
Mardi 28 Mai:

Le vent du Nord s'intensifie fortement au cours de la journée, la mer se forme petit à petit, les vagues deviennent de plus en plus importantes. Combinées avec le vent, Elles nous poussent vers le Sud. Ne voulant pas descendre plus, nous redressons le cap. Nous allons donc devoir naviguer avec les vagues sur le côté bâbord du bateau. 

Le vent se forcissant encore plus, nous allons réduire au maximum la voilure. Nous affalons finalement la grande voile. Nous laissons seulement le phoque très peu ouvert. 

Fait de bord notifiable à bord. Nous venons d'effectuer, à la mi-journée, plus de la moitié de la distance jusqu'à la destination finale (par rapport à une traversée parfaite). Il nous reste alors 1350 miles à effectuer pour atteindre l'eldorado de la Polynésie française et des archipels de Gambier.

C'est le jour de l'anniversaire de Leigh. Nous allons dignement le fêter. L'esprit créatif et l'originalité de notre chef cuistot Adam vont se manifester. Il va subjuguer ces talents surtout pour le dessert, et sa forme subjective qui lui donnera, au plus proche de ces obsessions qu'il n'arrête pas de retranscrire par l'intermédiaire de blagues douteuses. Le plat principal est un braisée d'agneaux avec purée maison et choux à la crème. L'esprit de fête est à son apogée quand Leigh soufflera ces bougies! L'atmosphère du bateau s'améliore instantanément. En effet depuis quelques jours les habitudes et les différences de caractère n'ont pas facilité la communication entre équipiers. Cette dernière commençait à se dégrader petit à petit! Mais, à cet instant, les personnes sont toutes souriantes. Nous rigolons et l'ambiance est au beau fixe! Le gâteau au chocolat et son glaçage coloré auront un vif succès! Nous le dégusterons!

Encore une fois, nous avançons dans le noir total lors de la nuit qui est maintenant installée. Cette réalité est encore plus forte en raison du temps très couvert, et de la lune qui se lève beaucoup plus tard dans la soirée... Avancer à l'aveuglette, sans repère, naviguant à plus de 10 nœuds de vitesse n'est plus vraiment un problème me concernant. Nous restons tout de même vigilants pendant l'intégralité de notre quart. La prudence reste de mise quand une personne sort à l'extérieur et, bizarrement, personne n'essaiera de faire de la Slack Line sur un des filins entourant le bateau! Personne ne souhaite jouer l'équilibriste, au péril de sa vie!


Mercredi 29 Mai                                                                                                    

En milieu de matinée, le temps est au beau fixe mais le vent a encore augmenté pendant la nuit. La mer est formée. Le vent et les vagues sont de côté, avec un angle parfait de 90° par rapport à la marche du bateau. Cela implique un impact différent. L'eau s'engouffre dans le tunnel (pour rappel c'est la partie vide entres les deux flotteurs qui offre une surface horizontal à l'eau). Elle vient taper violemment la coque du bateau provoquant des bruits sourds quasi permanent. Cet effet est accentué par le point de gravité très bas de ce bateau et des flotteurs peu élevés. Pendant la nuit, avec la répétition des chocs et la vieillesse du matériel, un des supports pour l'annexe (bateau pneumatique semi rigide motorisé), maintenue à l'arrière, s'est fissuré... Heureusement ce dernier n'a pas cédé et les cordages de renfort déjà installé ont joué leur rôle. Nous sortons le moteur (posé à l'intérieur de ce semi-rigide) pour le mettre à l'abri et enlever du poids. Nous utiliserons la drisse de grande voile pour soulever le soi-disant moteur. A mains nues, à deux, il ne reste plus alors qu'à le diriger dans la soute de rangement en-dessous du plancher du cockpit! Nous passerons une bonne partie de la matinée à sécuriser la situation. L'action principale sera de soulager ce support grâce à un cordage, glissé en dessous. Tel un pansement, il vient épouser sa forme. Sa colle, tel le sparadrap, pour exercer une pression suffisante, sera un taquet d'un côté et le winch de l'autre.

Pendant le déjeuner, à 14h00, une vague énorme va s'abattre sur le bateau! Mangeant à côté d'André, je l'ai vu arrivé! André a sa place réservée pour en permanence pourvoir jeté un coup d'œil sur le système de navigation. Il ne pourra cette fois-ci que constater les dégâts. Le tableau de bord sur lequel il est fixé, se décroche de son support et tombe violement sur la table à cartes! Le pilote automatique ne répond plus. Tout à voler dans le bateau, particulièrement dans le salon. Les assiettes contenant la nourriture, qui vient juste d'être servies, a été renversée. C'est particulièrement pour André qui se trouvait en bout de table. Son tee-shirt blanc est maintenant un patchwork de couleurs. Les personnes assises sur des chaises ont été éjectées vers tribord. Tous les tiroirs dans les chambres ont été ouverts, la boîte contenant les œufs s'est explosée par terre. La perte sera importante mais nous sauverons tout de même le plus gros!

Nous rétablissons la situation assez rapidement... Le plus urgent est le système de navigation, particulièrement, le pilote automatique! Après avoir tout débranché et reconnecté le système, tout semble répondre parfaitement. Nous finirons de manger, puis nous nettoierons et réorganiserons se désordre apparu en une fraction de seconde (ranger tous les objets tombés, laver le sol, réorganiser certains éléments sensibles). L'après-midi, se passe sans trop d'encombre. Les vagues sont cependant toujours imposantes et les creux peuvent parfois atteindre plus de 7 mètres de hauteur!

Rien d'alarmant! Je décide de sortir prendre l'air. Je me rends à la proue du bateau, attaché à la ligne de vie par un harnais. Je profite du spectacle. Je me ramasse des paquets de mer dans le visage. Mais je vis l'instant présent à fond, prenant parfaitement conscience du lieu très particulier où je me trouve. Je rentrerai finalement après plus d'une heure dehors à jouer avec les vagues. Certains équipiers me traiteront de fou! Je prends cela sincèrement comme un compliment à cet instant! 

Il y a des journées au cours desquelles le scénario doit être dramatique, être mouvementée. L'espoir est tout de même présent que le dénouement soit une "Happy End" (fin heureuse). Celle que nous vivons est l'une d'entre-elles. Une nouvelle fois la pression de l'eau sur les coques donnent le sentiment d'être en temps de guerre et que des micro-torpilles viennent impacter la coque plusieurs fois par minute. C'est avec plus de relâchement que je vis  ces perturbations aussi bien auditives que physiques avec les impacts faisant bouger le bateau par accoups.

C'est le quart de Leigh et Alex en ce début de soirée. Je suis resté éveillé et travaille sur l'écriture de mon blog! Tout d'un coup, une autre très grosse vague va-nous surprendre une fois de plus. Le pilote automatique disjoncte. Il se met immédiatement en erreur. Nous perdons très rapidement le cap. Nous empannons, malgré qu'Alex soit repris la barre! Le bateau a naturellement abattu, le point de non-retour a été atteint. L'effet combiné d'une vague et du vent en sont la cause majeure.  Le pilote et le système de navigation, après plusieurs minutes, ne répondent toujours pas. André trifouille les câbles. Il tente de tous les reconnecter. Premier et deuxième essais infructueux! Alex toujours à la barre tente vaillamment de maintenir le cap alors qu'il se fait arroser par des vagues impressionnantes et cela quasiment en continu.

André après un énième essai parvient a le rétablir! Nous rétablissons la course, nous modifions l'ajustement du phoque en rapprochant le chariot au centre, et en bordant la voile.

Une deuxième très grosse vague s'écrase sur le bateau quelques minutes après la fin de l'épisode du premier assaut! Aucun dommage apparent, les équipements fonctionnent. Il nous semble que nous venons d'avoir une simple frayeur due au seul l'impact et au bruit engendré par la vague. En fait, nous venons de passer tout proche d'une catastrophe humaine.

Rosalie sort affolée de sa chambre sans réaliser réellement ce qui vient de se passer. Seul dans sa cabine, contenant un lit superposé, elle dormait sur celui du dessous. Le lit du dessus, sur lequel avait été entreposé de nombreuses affaires et sac hermétiques appartenant au propriétaire, vient de s'écrouler... Miraculeusement seule la partie aux pieds de Rosalie s'est brisée sous la force et l'impact de la vague. Il est venu s'écraser sur le lit dans lequel elle dormait aussi paisiblement que possible par ce temps! Elle aurait eu comme un pressentiment, un moment de terreur lors de la première phase de cette attaque. Elle s'était alors recroquevillée sur elle-même.  N'étant pas très grande, elle n'a même pas été effleurée… Elle vient cependant d'éviter de justesse de recevoir plus de 200 kilogrammes sur le corps (poids du lit en bois et des affaires combinées).... Nous ne voulons même pas imaginer ce qui aurait pu arriver si le lit s'était littéralement effondré sur son petit corps frêle! Rosalie demande si elle peut dormir dans un autre lit. Elle part s'allonger calmement sans montrer aucun signe d'inquiétudes. Elle dormira dans notre cabine sur le lit d'Alex! Leigh, Alex et moi-même avons pleinement pris conscience des événements qui viennent de se dérouler. Nous resterons sans voix! Je pense aussi que j'aurais pu aller la réveiller au milieu de mon prochain quart, pour qu'elle remplace Alex, qui serait parti se reposer! Ouvrant la porte, je n'aurais pu que pousser un cri de terreur, tétanisé par la vision apocalyptique qui me ferait face; Rosalie compressée entre les deux lits... Nous en reparlerons bien entendu le lendemain. Rosalie a conscience que sa bonne étoile vient une nouvelle fois de lui sourire. Elle préférera en rire, en nous demandant ce que nous aurions fait de son corps sans vie. Lui répondant, de façon très terre à terre, que nous aurions dû ramener son corps aux autorités du pays de destination, elle nous répondra qu'elle aurait préféré que nous jetions son corps dans les fonds sans fin de l'océan Pacifique. Aucune réponse à apporter à cette affirmation. Nous pouvons juste en voir le bon côté et aimer ce sentiment de légèreté!

La lune fera son apparition vers minuit indiquant la fin d'une journée chargée en émotion. Le vent va petit à petit changer de direction. Malgré le mauvais temps, qui continue, nous n'aurons plus d'alerte sérieuse!

Jeudi 30 Mai:

Le temps est toujours maussade, la mer agitée. Le changement de direction du vent, venant maintenant du sud-est, nous permet finalement d'entreprendre notre remontée vers le Nord en direction de Gambier! Cette journée sera assez calme avec de beaux moments tels le lever et le coucher de soleil. Nous sommes complétement décalé au niveau du temps et de la journée type. Premièrement, sur le bateau, nous sommes toujours à l'heure de la Nouvelle-Zélande. Puis nous avons énormément avancés vers l'est. Le lever de soleil est maintenant avant 5h00, le matin, et le coucher avant 16h00! La vie à bord est réglée par les quarts qui se succèdent, par le besoin de repos de chacun, et par les repas pris ensemble. La fatigue commence à se faire sentir dans les rangs. Les dernières nuits ont été éprouvantes pour le mental et l'organisme de ceux qui n'ont pas eu leur quota de sommeil.  Cet état de fait a un impact non négligeable dans les relations à l'autre et, obligatoirement, sur l'ambiance en général. Le fait que nous ne sommes pas totalement indépendants lors d'une manœuvre n'aide pas André. Il ne comprend pas la multitude d'erreurs qui se produisent encore, au vu, pour lui, de la simplicité de la séquence d'actions à effectuer. La fatigue, le stress et le cumul de petits détails vont vite l'irriter. N'étant pas un bon orateur, ni la meilleure personne qui existe pour la communication à l'autre, il va garder cela en lui. Râlant toujours plus fort sur celui qui aurait le malheur de se tromper, il accumule néanmoins en lui des frustrations qui vont être difficile de totalement occultées!

Il va avoir la bonne idée de nous prendre tous individuellement dans sa chambre. Il posera des questions sur la navigation, les cordages, les procédures pour une manœuvre donnée et les actions associées. Le résultat sera probant. Les manœuvres font sensiblement s'améliorer. La pratique et les habitues ont, pour cet aspect, une importance fondamentale! Essayons que le bonheur du capitaine reste le plus grand possible pour conserver la bonne ambiance dans les rangs des équipiers!

Vendredi 31 Mai:

Le soleil est revenu. Le vent a fortement chuté et changer de direction. Nous avons maintenant le vent dans le dos. La houle formée sur la mer prend toujours un peu plus de temps que le vent pour évoluer. Mais très vite, nous ne ressentons plus ces effets de la même manière. Le bateau fait maintenant un mouvement de sinusoïde par rapport à une mer d'huile, repère du zéro d'altitude. Plus aucune vague ne viendra fracasser notre embarcation. Nous glissons à vitesse constante sur ce milieu liquide lui aussi en perpétuel mouvement et évolution!

La matinée sera le moment propice pour un grand nettoyage. Nous allons laver le bateau de fond en comble pour le dessalléniser autant. Nous nettoierons le sol, les murs. Nous ouvrirons les hublots pour laisser l'air frais rentrer. Nous réorganiserons les vivres, en faisons un inventaire. Nous déterminerons l'ordre de consommation de denrées, plus ou moins périssables, à courtes ou longues durées! Nous ferons sécher nos vêtements, nos matelas et draps engorgés d'humidité!

L'après-midi sera plutôt ludique. Nous le consacrons plus à des activités de détentes. Nous jouerons de nombreuses parties d'Uno. Je rejouerai encore une nouvelle fois aux échecs, jeu que j'affectionne particulièrement et auquel je n'avais pas joué depuis bien longtemps.

En début de soirée, je vais passer du temps dans la cuisine à concocter un repas pour mes équipiers: tarte à la tomate avec salade, guiche lorraine et mousse au chocolat en dessert! Les compliments d'Adam chef confirmé me toucheront. C'est encore une fois le cœur léger que je partirais me coucher, pour quelques heures, avant de prendre mon quart, pendant la nuit.
Samedi 1ier Juin:

Coucher depuis moins de 4h00, après mon quart en fin de nuit, deux personnes viendront successivement voir si je dors encore. Ce qui n'était jamais arrivé! Par deux fois je me rendormirai un peu. Mais une activité incessante sur le bateau va définitivement me faire émerger de mon sommeil legé.

Sortant de ma cabine, je vois que tout le monde est très actif. Je mets un peu de temps à comprendre ce qui se passe. Rien de très grave finalement, mais un taquet du bateau vient de lâcher. Il supportait le cordage de prévention d'empannage de la grande voile. Il n'a pas résisté en raison de la pression exercée. André et Leigh s'occupent des réparations: colmatages des trous, mise en place de résine, protection contre l'intrusion d'eau salée dans le bateau. Les autres ont commencé un vrai chantier. L'effet boule de neige a eu lieu. Adam, en se servant des outils pour la réparation, s'est aperçu qu'un compartiment à outils trempé dans de l'eau salée. Ils ont donc commencé le nettoyage complet de ce dernier. La plus grosse tâche sera de passer de l'antirouille sur le moindre outil, la moindre vis, le moindre boulon... et réorganisé les boîtes de rangement! Je me mets à la tâche avec eux!

La matinée va se vaporiser comme l'eau de la mer s'évapore sous l'action du soleil. Nous profiterons d'un petit déjeuner tardif agréable. Nous larguerons les ris de la voile principale, pendant les heures de mon quart, alors que le vent se meure. Nous atteignons finalement rapidement la voilure maximale. Continuant à fabriquer notre pain que nous enfournons quotidiennement, nous dégusterons au déjeuner, après 13h30, de délicieux sandwichs de fabrication artisanale. Avec un coucher de soleil illuminant le ciel dès 15h25, l'après-midi semblera alors très courte.

Le début de soirée n'aura jamais été aussi calme. Beaucoup de personnes fatiguées passeront leur temps dans leur lit. Allant me coucher à minuit, je pourrais, depuis le petit hublot de ma chambre, admirer la lune éclairant une mer assez calme. Je m'endormirai avec ce spectacle, et son image encore collée sur la rétine de mes yeux!

Dimanche 2 Juin:

Je me réveille dans la même position, à 5h00 du matin, avec la vue sur un magnifique lever de soleil. Ce dernier embrasse le ciel avec des tons rougeâtre et orangé marquant une nouvelle fois mon esprit!

Malgré un grand ciel bleu, un vent austral qui a chuté drastiquement, et un bateau très stable, il y a toujours des creux de plusieurs mètres de hauteurs. Ces derniers sont très espacés et viennent du Sud. Il s'agit vraisemblablement des dernières reliques naturelles d'une tempête, qui a sévit, il y a quelques jours, à des centaines de miles nautiques d'ici. Aucune trace ne sera laissée et très bientôt cela ne sera qu'un souvenir lointain, que seule la personne, l'ayant vécu à son apogée, s'en souviendront. Remontant toujours vers le Nord, elles arrivent par l'arrière du bateau, nous permettant de ne pas vraiment en ressentir les effets!

Les habitudes sont de plus en plus coriaces sur Sarava. Voilà plus de 10 jours que nous sommes partis. Nous avons envie de quelque chose d'inédit qui permettrait de casser une routine maintenant établie, parfois même un peu pesante! Nous enroulons totalement le phoque, nous affalons la grande voile. Le bateau possède alors très rapidement une vitesse quasiment nulle. Exceptionnellement se fut le but recherché. Pouvoir plonger en plein milieu d'un océan reste comme un projet un peu fou! Nous n'avons à cet instant plus qu'à nous jeter par-dessus bord pour le réaliser. Content de quitter, pour quelques minutes, "ce vase clos", nous nous en donnons tous à cœur joie. Aussi surprenant que cela peut être, la température de l'eau est bonne. Elle est précisément à 20°C. L'eau et sa couleur sont impressionnantes. Je réalise que nous nageons au milieu d'une masse d'eau incroyable! Au-dessous de nos petits corps, qui flottent à la surface, plusieurs milliers de mètres nous séparent de la croûte terrestre.

Nous nous n’éloignerons pas trop du bateau qui avance toujours à 3 nœuds de moyenne. Nous nous nous ferons tirer par ce dernier à l'aide d'une corde. Nous effectuerons de nombreux plongeons. Après ce lapse de temps sans avoir quitté son bord, j'apprécie grandement de pouvoir regarder le bateau d'un autre point de vue. J'aime me retrouver dans ce milieu, qui nous entoure depuis le départ, tellement magnifique mais si facilement hostile aussi! Lors de cet épisode, sûrement lors d'un plongeon, je vais perdre mon collier en dent de crocodiles. Ce cadeau d'une tribu en Papouasie Nouvelle-Guinée avait une importance non négligeable, un lien spirituel fort avec ce pays que j'ai adoré. Je le portais 24h00/24 depuis plus de 9 mois. Un sentiment de peine m'envahie! Mais y avait-il un meilleur endroit que les fonds de l'océan Pacifique pour voir ce souvenir matériel important à mes yeux se détacher de moi? Je ne pense pas. Je regagne le sourire en me remémorant tous ces souvenirs exceptionnels.

Nous enchaînerons avec une viande délicieuse cuite au charbon de bois sur le barbecue présent à bord. Je commence néanmoins à saturer de cette opulence de nourriture et de protéines. Nous avons faits des fabuleux repas matin, midi et soir. Mais Je ne suis pas habitué à manger autant et aussi riche. Je ne suis pas le seul dans ce cas! Nous n'allons pas nous plaindre mais le retour à plus de simplicités sera aussi très agréable!

Quoi qu'il en soit, le fait que nous avons réussi, quasiment tous les jours, à manger midi et soir tous ensembles restera comme quelque chose de très important, pour moi, et de rare dans une traversée d'océan. Je passerai la fin de l'après-midi à la proue du bateau, regardant ce paysage sublime, avec une vue dégagée à l'infini. Le coucher de soleil viendra compléter cette journée au paradis durant laquelle tout le monde aura été vraiment décontracté!

Lundi 3 Juin:

Mon quart de nuit s'effectue avec la lune qui éclaire le ciel. Malgré cette lumière imposante, nombres d'étoiles sont visibles dans le ciel. Très vite la lumière du jour va succéder à cette semi-obscurité. Le lever de soleil aura lieu à 4h02. Les couleurs ne sont pas aussi impressionnantes que les jours précédents. Mais c'est toujours un plaisir, pour moi, de pouvoir profiter de ce moment qui ponctue réellement le début d'une journée. J'apprécie aussi ces instants face à la nature, au calme, alors que tout le monde dort. Avec Rosalie, nous sommes les seuls réveillés.

A 10h00, un poisson mort à l'hameçon. Depuis quelques jours et les accalmies qui se sont manifestés, nous essayons de pêcher à la traîne. Trois cannes à pêche sont installées sur la poupe du bateau! La mer plus calme et la vitesse du bateau ayant diminué étaient des paramètres nécessaires à la réussite de cette activité. Il est reconnu qu'au-dessus de 9 nœuds de moyenne, la chance de pêcher est assez rare. C'est encore plus le cas quand vous vous retrouvez sur un océan dont la houle est imposante. Une vitesse de croisière de 5 à 7 nœuds, avec une mer calme, est idéale.

C'est l'excitation à bord lorsque le fil de pêche dans le barillet se débobine instantanément. Son bruit particulier ne trompe pas! Dans la seconde, Adam est sur le pont. Nous réduisons la vitesse du bateau. Enroulant le phoque et pointant le bateau face au vent, nous venons de faire chuter la vitesse à moins de 4 nœuds. Adam s'attèle à la tâche pour tenter de ramener la proie à bord. Après de longs efforts, il y parvient finalement. Lors la phase finale, alors que le poison est déjà sur la jupe tribord (partie à l'arrière de la coque droite du bateau qui descend en escalier jusqu'à la surface de l'eau), il s'harponne avec la gaffe. Cette dernière avec une pointe métallique très aiguisée à son extrémité pénètre dans son mollet droit. Pris de douleur, il la laisse s'échapper. Elle tombe dans l'eau. Il arrive finalement avec André à maîtriser la pêche du jour, ce poisson imposant des hauts fonds. Il s'agit d'un Mahe-Mahe. Mais une première victime, en sang, est à déplorer dans nos rangs!

Nous devons manœuvrer pour récupérer la gaffe. André est à la barre. Pour être plus efficace et précis, il met les moteurs en marche. Je suis désigné pour être la personne qui plongera. Une fois dans l'eau, je l'atteins aisément. Je m'apprête à faire demi-tour. Je la tiens alors, à peine, en main. Je suis trop dans l'action et l'euphorie d'avoir accomplie ma tâche. Je ne prête pas assez attention aux éléments qui m'entourent et à leur perpétuel mouvement. Une vague va me faire remonter la main qui la tient. Le crochet pointu est tranchant vient se planter dans la paume de mon pied gauche. Je ne réfléchis pas. Je remonte aussi vite que possible sur le bateau, pestant contre ma stupidité et mon manque de clairvoyance.

Il y a maintenant 3 sangs d'être vivants se répandant sur l'extrémité arrière des deux coques du bateau. La couleur de mon sang d'un rouge intense se répand petit à petit dans l'océan. La capture de ce poisson aura été d'une forte intensité. La proie aura fait des dégâts dans les rangs des assaillants. La situation est pourtant maintenant stabilisée. Nous reprenons notre marche en avant. Après l'avoir évidé, soignés nos blessures, qui s'arrêtent finalement de saigner, nous dégusterons une partie du poisson en sashimis (poisson frais non cuit) avec de la sauce soja.

La plaie ouverte dans la paume de mon pieds est profonde et elle fait plus de 2 centimètres de long. Mais rien ne semble avoir été touchée. Il s'agit simplement d'une ouverture béante dans la chair. J'ai une fâcheuse tendance à cumuler ces petites histoires qui jouent avec ma santé et les nerfs des lecteurs qui veulent me savoir en pleine santé! SI cela continue, je vais peut-être me faire surnommer "Mister Gaffe"! Heureusement nous n'en sommes pas encore là! Quoi que? En tout cas, cela ne m'empêche pas de continuer mon aventure. Et puis, il faut que quelques petites péripéties m'arrivent pour que je ne puisse pas affirmer que ce voyage est parfait! Pourtant il frôle avec l'extraordinaire de mon point de vue, celui d'une personne heureuse d'être sur les routes du Monde! 

N'ayant aucune douleur, je décide de barrer. Je remplace Leigh à la roue à gouverner. Pendant quelques minutes, ça sera très calme, trop calme. Le vent ayant chuté à moins de 8 nœuds, le bateau peine à dépasser les 6 nœuds. Puis, petit à petit, le vent va se raviver. Il dépasse très rapidement les 18 nœuds. Je peux alors m'amuser avec les vagues pour les surfer du mieux possible. Les grains s'enchaînent. Chacun d'entre eux s'accompagne de la force du vent qui se décuple de nouveau. Je vais apercevoir un, puis deux, puis trois arcs-en-ciel. Le dernier d'entre eux va s'amplifier. La grosse averse qui nous tombe dessus alors que le soleil rayonne de plus belle, tout autour de nous, en sont les catalyseurs! Je peux alors admirer un double arc-en-ciel complet, plongeant dans l'eau par les deux extrémités pour ce duo invraisemblable. Les couleurs sont d'une intensité remarquable. Ils sont sûrement les plus beaux que je n'ai jamais pu observer de toute ma vie. J'aurais aimé partagé ce moment avec les autres mais ils sont tous endormi, se reposant dans leur cabine ou allongés sur le canapé dans le salon. Alex de quart avec moi finira par m'entendre l'appeler. Il viendra profiter de la fin de cet événement naturel sensationnel.

Une heure plus tard, le déjeuner est prêt. Au menu le Mahe-Mahe revenu dans la poêle avec de la panure. Sa chair se prête beaucoup mieux à cette cuisson rapide, un "aller-retour" de quelques secondes sur les deux faces du poisson pour conserver sa chair tendre. C'est ainsi que se révèle sa saveur! Les filets ont été minutieusement préparés par Adam. Il n'y a aucune arrête! L'heure de mon quart a sonné. Avec Alex puis avec Rosalie, et bien sûr toujours André aux commandes, nous enchaînons les manœuvres. Nous prenons des ris, au fur et à mesure que le vent augmente. Nous passerons de la voile complète, au premier ris, puis le deuxième et finalement le troisième lorsque les vents dépasseront les 30 nœuds de moyenne. Dame nature nous offre un spectacle fabuleux au quotidien et un peu, beaucoup, d'action! Une fois encore le coucher de soleil sera somptueux.

Nous n'avons pas encore vraiment le sentiment d'être proche des tropiques. Les vents froids venant du Sud nous en dissuadent. Même le soleil réchauffant l'atmosphère ne parvient pas à nous en convaincre. Pourtant l'arrivée aux abords de la Polynésie est réelle. Dans la journée nous atteindrons les derniers 300 miles de navigation à effectuer pour atteindre les archipels de Gambier, archipels les plus orientales de la Polynésie.

Mardi 4 Juin:

Voilà maintenant 15 jours que nous sommes partis. En matinée, nous attaquons les dernières 24h00 prévisionnelles de cette traversée. Il y a un grand soleil, le ciel est bleu. Cependant, la mer est encore très agitée avec des vents de plus de 25 nœuds de moyenne. Le soleil fait ressortir cette magnifique couleur bleue turquoise de l'eau pendant les premières heures de la journée. Les nuages vont ensuite prendre le relais. Nous continuons de nous faire secouer dans tous les sens, comme dans les parcs d'attractions, et les manèges à sensations fortes. Nous nous sommes tous habitués à ces conditions. Même les personnes les plus touchés par le mal de mer ont fait front! Elles sont maintenant moins sensibles à ces conditions non naturelles, pour un simple terrien. La combinaison du roulis et du tangage n'aide pas à établir un vrai confort!

Un autre aspect incongru va ponctuer la fin de ce voyage. Nous avons en permanence cherchait la performance et les meilleurs réglages pour aller le plus rapidement possible à notre point d'arrivé sans, tout de même, mettre à mal la structure du bateau. Nous allons maintenant trop vite! Hilarant, non? En effet, à cette allure nous arriverons en plein nuit. Or une majorité des archipels de la Polynésie française sont des lagons plus ou moins vastes entourés par des plateaux de coraux. L'archipel des Gambier ne déroge pas à la règle. La seule façon de pénétrer dans ces lieux est de franchir une passe. Cette dernière peut parfois se révéler dangereuse en raison de forts courants et de faibles profondeurs! Ne connaissant pas les lieux, cela n'est pas envisageable, ou du moins raisonnable, de tenter le diable si proche du but et après autant de péripéties. Déréglant le bateau et ces voiles, nous visons maintenant l'arrivée mercredi matin en début de matinée. Je ferais mon dernier vrai quart de nuit de 18h00 à 22h00. Ce soir, exceptionnellement, je file tout de suite me coucher! Je suis excité par cette arrivée qui se dessine dans les prochaines heures. Je m'endors le cœur légé!

Mercredi 5 Juin:

J'aurais la très bonne idée de me réveiller instinctivement à 3h00 du matin. Il fait encore nuit! Nous ne sommes plus qu'à quelques milles nautiques de l'archipel. L'horizon va s'éclaircir petit à petit.

Il est 3h40, quand les premières lueurs du jour apparaissent. Je suis dans la retenue, mais je suis pris d'une émotion intense qui me submerge! Nous pensons très vite deviner, avec André, les premières ombres qui se dessinent à l'horizon. Puis-je laisser exploser ce cri barbaresque qui est en moi? Le ciel s'éclaircissant, nous en avons très vite la confirmation. Ceux sont bien les premières îles de l'Archipel. Je peux laisser ces sensations puissantes m'envahir, et crier, avec beaucoup d'émotions: "Terres en Vue!"

Nous allons rester à l'extérieur pour apprécier chaque seconde de cette arrivée. Les îles vont se dessiner de plus en plus clairement. Malgré le temps un peu couvert, nous sommes les spectateurs d'un magnifique lever de soleil. Les rayons transpercent les nuages et illuminent les îles. A 6h00 du matin, heure de la Nouvelle-Zélande, nous rentrerons dans le lagon! Une nouvelle prise fête notre arrivée. Réduisant la vitesse du bateau et le manœuvrant correctement, nous réussissons à remonter un thon d'une belle taille. Pas le temps de s'occuper de la prise immédiatement. Nous nous dirigeons vers l'Île principale de l'archipel; Mangaréva! Les couleurs de l'eau sont magnifiques. Elles créent un véritable patchwork de bleus et de verts! Après quelques manœuvres, nous ancrons en face de Rikitea, ville principale de l'Archipel! Il n'y a pas ici de port ou de marina, tous les voiliers, une quinzaine, sont au mouillage. Notre position une fois le bateau ancré est 23°07' Sud, 134°54' Ouest! Nous venons de parcourir plus de 5000 kilomètres sur un voilier. Je pense que je n'ai jamais eu l'opportunité d'apprécier autant une arrivée dans un nouveau pays. Nous avons amplement mérité notre séjour sur ces îles magnifiques du Pacifique, territoire français, pourtant si loin des réalités de la métropole!

Il est 8h00 ce Mercredi 5 Juin 2013, heure de la Nouvelle-Zélande. Il est maintenant, ici, heure locale, 10h00, le Mardi 4 Juin 2013! Nous venons d'effectuer un retour dans le temps spectaculaire! Cet état de fait est une anecdote intéressante, ayant pourtant peu d'impact sur le moment présent vécu!

Le plus important est l'état de bien être dans lequel nous nous trouvons. Je viens de vivre un rêve. Nous venons de vivre un moment intense, riche en émotions, comme sûrement, trop peu de personnes auront la chance de vivre ne serait-ce qu'une seule fois dans leur vie! Nous nous apprêtons à regagner la terre après de longs jours sans avoir réellement quitté le bateau, sans avoir vu d'autres êtres vivants! En attendant, de passer à la douane, pour effectuer les démarches administratives, nous lavons et rinçons le bateau. Nous le rangeons et le réorganisons. Nous allons aussi fêter dignement cette arrivée et l'Anniversaire d'Adam, à l'heure Néo-zélandaise!

L'heure de fouler de nouveau des terres, de marcher sur un sol fixe, et non, en perpétuelles oscillations, est arrivé! Qui plus est, ces terres m'ont toujours été décrites comme un paradis sur Terre, comme un vrai bijou... Nous sommes prêts à débarquer! J'ai envie d'aller à la rencontre des locaux...

J'espère néanmoins ne pas rester trop longtemps éloigné du pont d'un bateau! Je ferais le nécessaire pour avoir les opportunités de renouveler ces expériences maritimes intenses et fortes. Naviguer sur d'autres océans, vivre d'autres navigations sont clairement dans mes intentions à court ou moyen terme! Une traversée océanique reste un événement sensationnel à vivre dans sa vie. Alors pourquoi ne pas dupliquer autant que possible ces moments sensationnels? L'appel de la mer me rattrapera sûrement très vite et je compte bien lui répondre, en écho, positivement...