"You fall, You
Die!" La traduction mots à mots est ici juste et correcte. "Tu
tombes, tu meurs!" Vérité crue, pas toujours évident à entendre, elle fait
pourtant partie de la réalité de toutes ces marins, amateurs ou
professionnelles, ayant décidés de traverser une mer, un océan...
Se retrouver
à l'eau dans "la Grande Bleue" après être passé par-dessus bord, à
plusieurs centaines de miles nautiques de toutes terres (1 mile nautique équivaut
à 1,852 kilomètre), n'est pas un événement qui doit être envisagé. Voir
rapidement s'éloigner l'embarcation sur laquelle tu te trouvais, quelques
secondes auparavant, est, sauf miracle, la fin annoncée à court terme de ta
vie... Mais la vie vaut le risque d'être vécue à fond, en réalisant ces rêves.
Rien ne pourrait me faire reculer, l'envie de commencer ce projet est à son
comble!
Je me suis rarement senti aussi petit et imble face à la puissance et à la beauté de la nature, que lors de
l'expérience que je m'apprête à vivre. Pourtant, par la même occasion, le
sentiment d'être vivant n'a jamais été aussi exacerbé qu'au cours de cette traversée. Ces
moments de vie durant lesquels, je vais, avec l'équipage du catamaran Sarava,
naviguer sur ce milieu liquide, resteront à jamais graver dans mon esprit.
Cet environnement magique, mais aussi parfois inhospitalité, recouvre
plus de 70% de la surface de la terre! Naviguer sur les Océans sonnait alors,
pour moi, comme une évidence, un passage obligé lors de ce Vol Libre autour du
monde. L'opportunité devait se présenter à moi. Je vais la créer en concentrant
tous mes efforts pour atteindre cet objectif. Ce rêve ancré dans mon esprit,
depuis de nombreux mois, me fait maintenant face et va devenir réalité!
Voici venu le jour du grand départ, une grande première pour moi! Nous
allons partir pour traverser d'une
partie de l'océan Pacifique. Le journal de bord que j'ai tenu au cours de cette
traversée va vous transporter à nos côtés sur le catamaran, Sarava. Cette expérience,
à vase clos, sur ce bateau, un Lagoon 55S, de 55 pieds de longueur (soit
environ 16,2 mètres) et 9 mètres de largueur, sortie, il y a plus de 22 ans,
des chantiers navals Jeanneau, va impliquer 6 personnes. Les protagonistes
sont:
- le skipper Brésilien; André. Cela fait plus de 2 ans qu'il est en
charge de ce bateau appartenant à un de ces riches compatriotes. Il est
rémunéré mensuellement pour l'entretenir, effectuer les réparations
nécessaires, et le convoyer dans les lieux où désire se rendre le propriétaire.
Il a navigué dans le Pacifique. Il s'est déjà rendu deux fois en Polynésie
Française. Il vient de passer sa troisième saison anticyclonique sur les terres
néo-zélandaises et s'apprête à repartir dans les îles du Pacifique avec cette
fois-ci la ferme intention, après l'aval de son patron, de prendre la direction
du Nord et de rejoindre l'Océan indien.
- le chef cuisiner néozélandais; Adam. Il vient d'être recruté par
André. Il remplace, Ben, brésilien, très bon ami d'André, qui vient de rentrer
au pays pour créer une vie de famille avec son amie. Adam vient de travailler
plusieurs années en tant que cuisinier sur de très gros bateaux de pêche qui
partaient en mer pendant 3 mois consécutifs. La mer et les océans lui sont
familiers mais il va effectuer sa première traversée en bateau à voile!
- Les quatre équipiers, ou matelots. Rosalie, canadienne, qui a déjà
effectué plusieurs traversée et rêve un jour de posséder son propre bateau pour
faire un tour du monde. Leigh, néo-zélandaise, qui connait André depuis plus de
3 ans, a toujours voulu navigué à ses côté. Elle vient seulement d'en saisir
l'opportunité. Alexandros dit "Alex", espagnol, voyageur au long
cours, qui lui aussi effectue pour la première fois la traversée d'un océan. Il a soif d'apprendre dans le but de
renouveler l'expérience quelques mois plus tard avec sa petite amie. Et moi-même,
Tourdumondiste en plein Vol Libre!
6 personnes à bord, dont 5 novices! Cette équation aura une importance
énorme sur le déroulement de cette expérience intense!
"Flashback", Retour en arrière, 15 jours auparavant, lors de
notre arrivée, avec André, à Whangarei. Le bateau vient d'être amarré sur le
quai de cette marina qui se situe en plein centre-ville! Adam est venu nous
accueillir. Il nous apporte déjà quelques denrées alimentaires.
Je n'ai encore aucune certitude quant au fait que je vais prendre part à
cette expérience. André ne m'a pas encore confirmé avec certitude le fait que
je fasse partie de l'aventure qu'il s'apprête à vivre. Mais le périple que nous
venons d'effectuer a été un vrai test, grandeur nature, que j'ai relevé haut la
main! En parlant de mains, les miennes, bien amochées, sont tout de même hors
de danger. La manœuvre d’affaler la grande voile mal effectué m'aura laissé de
belles séquelles. Il me suffira de prendre soins de mes doigts meurtris pendant
les jours suivants, de bien les nettoyer et de mettre de la crème pour
m'assurer que mon corps puisse travailler à la réparation des tissus. Le
remplacement de la peau qui a été cisaillée en une fraction de seconde prendra
plusieurs semaines!
Je venais, lors de cette nuit de navigation, d'entrer dans le monde
assez fermé des marins. Je vais avoir l'occasion de franchir un nouveau pas
quelques jours plus tard. En effet, André me confirmera très vite, que je fais
officiellement parti de l'équipage, qui embarquera à bord de Sarava, pour la
traversée du Pacifique en direction de la Polynésie-Française. Je touche du
bout des doigts la réalisation de ce projet. Je vais avoir le temps de savourer
ces moments de vie à venir.
Vivre la vie de marin effectuant des traversées ne consiste pas
seulement à naviguer, à partir d'un point pour arriver à un autre. Il y a
d'autres étapes antérieures pour assurer la réussite du projet. Je vais vivre
avec André, sur le bateau, pendant les 15 jours séparant notre arrivée à
Whangarei et le départ définitif vers de nouveaux horizons. Je vais
expérimenter la vie sur un bateau, dans une marina. Je vais voir et participer
aussi à la fin de travaux, l'entretien, les derniers réglages et la phase de
préparation d'un bateau avant son départ en mer!
Je prends rapidement conscience de l'ambiance très agréable et
décontractée dans cette marina. Nos voisins marins n'hésitent pas à venir
discuter avec nous. Les personnes sont souriantes, intéressantes, curieuses de
connaître les projets de navigation à venir! L'entre-aide entre les différents
bateaux fait partie du quotidien, sans aucune attente particulière ou contrepartie.
L'âge moyen des marins partant pour un voyage au long cours est assez élevé. De
nombreux couples entreprennent l'aventure et naviguent sur les différents
océans, parfois depuis des années!
Nous allons faire la rencontre d'un personnage assez exceptionnel. Elle
est anglaise et elle a 87 ans. Carole a acheté son catamaran avec son mari il y
a 30 ans. Ils ont beaucoup navigué ensemble avant que ce dernier ne décède, il
y a de cela quelques années! Carole a tout de même voulu continuer à perpétuer
ce rêve. Elle le partage maintenant avec des équipiers qui désirent l'aider à
continuer à avancer pour parcourir tous les océans de la planète! Elle part
aussi en direction de la Polynésie Française. Mais son itinéraire semble très
ambitieux, trop ambitieux. Contre vent et courant, elle veut se rendre sur l'île
de Pâques puis vers les Galápagos! Je garde contact avec elle car j'ai la même
idée d'itinéraire. Tous les marins avec qui j'évoquerais ce projet me disent
tout de même que c'est un peu de la folie! Même si la traversée est possible
dans ce sens et qu'elle a déjà été réalisée, elle ne sera pas des plus
agréables, les manœuvres multiples et les dangers importants... Peut-être,
prendrais-je l'avion comme je l'avais envisagé précédemment?
Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup de respect pour ces individus qui vont
jusqu'au bout de leur projet, prêt à affronter tous les obstacles! André
restera en communication avec elle, et son équipage, lors de la traversée. Ils
utiliseront leur téléphone et internet satellitaires! Toujours bien de savoir
que quelqu'un pourrait entendre un S.O.S. en cas de détresse ou de perdition! A
cette époque de l'année, en Nouvelle-Zélande, beaucoup de bateau sont sur le
départ pour rejoindre les îles du Pacifique. La plupart projette de se rendre
dans les îles telles que Tonga, Fidji, Vanuatu, Papouasie, avant de partir plus
au Nord, ou de redescendre vers le Sud pour la saison anticyclonique qui
commence en Novembre!
Comme nous, tout le monde s'affère! Le planning des prochains jours
n'est pas trop encombré. Mais finalement toutes les tâches mises bout à bout
vont, une nouvelle fois, faire envoler le temps. Les journées vont se succéder
à un rythme effréné! Il faut dire aussi que nous n'allons pas hésiter à
privilégier les activités plaisirs et les bons moments! Nous ne négligerons
néanmoins pas les tâches qui nous incombent pour avoir un bateau prêt le jour
J.
Premières étapes faire appel à des sous-traitants. Ils réaliseront le
peu de travaux pour lesquels André n'a pas les compétences requises. Le
bricolage et le "système D" sont omniprésents sur le bateau. Mais il
est important aussi de savoir reconnaître ces limites ou, parfois, le manque de
matériel approprié. Nous enverrons donc par exemple le Taud de la grande voile
à faire réparer, nous ferons appel à un spécialiste pour changer le revêtement
qui tapisse le mur de la salle de vie; "le carré"!
Nous allons devoir aussi faire appel à de nombreux spécialistes dans
l'équipement marin pour changer des pièces comme les WC (la chasse d'eau ne
consiste pas à simplement appuyer sur un bouton. Il est nécessaire de pomper de
l'eau de mer puis de l'évacuer grâce à une manette qu'il faut pousser de
nombreuses fois). Nous nous approvisionnerons chez différents fournisseurs pour
avoir sur le bateau de multiples pièces de rechange comme des filtres, courroies,
alternateurs et démarreurs pour les moteurs diesels, pièces de rechange pour
les toilettes. Nous allons mener de front avec André plusieurs petits travaux.
Nous démonterons par exemple les Winch. Leur mécanisme (engrenages, roulements,
rotules, axes) sont englués dans de la graisse de mauvaise qualité qui a
tendance à bloquer leur rotation lors des manœuvres sur les voiles. Ce travail
de longues haleines sera réalisé sur plusieurs jours, en se jouant des averses,
qui ponctuent les premières journées à Whangarei! Pour faciliter encore plus
les manœuvres, je vais coudre sur les écoutes et la drisse de la grande voile
et les écoutes du génois (différents cordages reliés aux voiles et permettant
de hisser ces dernières ou de les régler, en angle et en pression, en fonction
de la force et de la direction du vent), des repères pour des réglages
particuliers, les plus utilisés lors de la traversée. Nous ferons aussi le
réglage et l'entretien des moteurs diesels en changeant des pièces d'usure.
Pleins de petits autres travaux viendront se rajouter à la longue liste tenue à
jour par André!
Pendant ces dix premiers jours, Nous allons vaquer aussi a de nombreuses
autres activités ludiques. Le vendredi 10 Mai, nous partons en 4x4 à plus de
3h00 de route. Après avoir passé la ville de Kaitaia, sur la côte Ouest, nous
atteignons le village d’Ahipara. C'est à cet endroit que nous allons quitter le
bitume, pour nous avancer sur la plage. Puis nous allons longer la mer sur des
rochers, où seul des engins tout terrain peuvent tenter l'aventure. Nous allons
rouler jusqu'à un point réputé pour ces vagues et ces vents réguliers.
L'endroit est idéal, en cette journée, pour sortir les planches et voiles de
kite-surf et s'adonner à une activité mêlant glisse et vent que j'adore. Après
de longues heures sur l'eau, et une chute quasi instantanée du vent suite à une
grosse averse, nous reprendrons la route du retour. Cette dernière alternera
entre un temps chargé de nuages grisâtres menaçant, d'énormes averses, de
magnifiques arcs-en-ciel et un coucher de soleil qui transpercera les nuages!
Les apéros, barbecues, soirées vont se succéder... Nous les partagerons avec les amis d'Adam, ou ceux
d'André qu'il a rencontré et côtoyé les deux dernières années. J'associerai ces
festins et ces bons moments avec d'autres moments un peu plus sportifs! Je vais
aller courir une fois tous les deux jours atteignant plusieurs fois la
magnifique cascade de la ville. Pour y arriver je longerai le cours d'eau en
aval et traverserai des forêts splendides. Je me rendrais aussi à un point de
vue sur les hauteurs d'un pic rocheux, je longerais les bords du canal menant
au port... Lors d'une superbe journée, nous rejoindrons un ami d'André,
responsable d'un club de surf. Il organise une compétition amicale régit tout
de même avec les règles professionnelles! Nous en profiterons pour surfer une
belle vague de plus d'un mètre un peu plus loin sur la plage.
Le temps est mitigé. Le beau temps succède aux averses, et inversement,
provoquant ainsi l'apparition de nombreux arcs-en-ciel. L'hiver s'installe
doucement et insidieusement aussi. La nuit les températures tombent parfois
très vite. Elles participent à une sensation de froid saisissante. Ce phénomène
est amplifié quand l'humidité de l'air ambiant s'en mêle. L'envie de partir, et
d'en découdre avec l'océan, se font maintenant sentir dans les rangs. Adam est
de plus en plus présent à nos côtés! Il prépare son départ de Nouvelle-Zélande,
en libérant la maison qu'il occupe, en faisant le tour de ces amis pour leur
dire au revoir Le bateau étant prêt à partir, André se rapproche du
propriétaire afin d'obtenir son aval pour le départ. Le feu vert est donné!
Le départ est imminent. Les derniers jours défilent sans coup férir!
Rosalie nous rejoint sur le bateau, le jeudi 16 Mai. Le plein des réservoirs
diesel bâbord et Tribord sont effectués grâce à la venue d'un camion-citerne
approvisionneur le vendredi 17. Le même jour, nous recevons l'ensemble des
denrées alimentaires qu'Adam vient de commander chez un grossiste, qui ne livre
qu'aux professionnels de la restauration. Les quantités délivrées sont
gigantesques. Ils ont prévus, entre autre, 10 jours de nourritures gourmets
pour la venue du propriétaire et de sa famille. Le congélateur présent à bord
sera rempli de ces mets. Il faut aussi prévoir à manger pour les 6 membres de
l'équipage. Les stocks ont été prévus pour un minimum de 20 jours. Les données
prévisionnelles pour la traversée sont toujours de 15 jours. Mais il faut mieux
être paré à tout imprévu! Le réfrigérateur déborde. Malgré un rangement
draconien, un jeu de tétris bien maîtrisé, nous aurons du mal à le fermer. Des
légumes jouent au touche-touche avec la crème, le fromage, le beurre, et la
viande. Nous avons aussi trois énormes glacières où nous stockons les denrées périssables
que nous consommerons en premier. Tous les placards, des rangements à sec (non
sujet à l'humidité), tel que sous la
banquette du carré, seront optimisés.
"L'air de la mer fatigue mais il met aussi en appétit!" c'est
bien connu. Adam, désirant manquer de rien, a donc prévu très large. La
livraison comprend une quantité phénoménale de viande; des morceaux de bœuf,
moutons, porc. Il y a aussi du saumon, du thon. Nous avons aussi fait le plein
de fruits et légumes (salade, choux, carottes, tomates, concombres, pommes,
oranges, bananes...) mais aussi de féculents (pâtes, riz, pommes de terre,
lentilles...). Les énormes sachets de 5 kg de sucre ou de café, côtoient les
sacs de plus de 10kg de farine. Nous avons aussi des sachets familles
nombreuses de céréales, et de barres chocolatés... Je pense que le festin va
continuer comme ce fut le cas lors des 15 jours passés dans la Marina. Nous
avons eu le droit à des coquilles Saint Jacques pour plusieurs repas, des
moules, du saumon, des steaks de bœuf fondant dans la bouche, des salades
hautes en couleurs, du bon chocolat...
Après l'effort, le réconfort! Pour se récompenser de ce travail
fastidieux, et de cette organisation drastique pour les denrées, mais aussi et
surtout par envie de fêter l'expérience à venir, nous finirons la journée par
un pot de départ! Nous serons plus d'une quinzaine sur le bateau. La soirée va
se prolonger tard dans la nuit. Certains d'entre nous prendrons le risque de se
réveiller avec un vrai mal de tête. J'ai abdiqué bien plus tôt, regagnant mon
lit, avant même que certains sortent dans les bars du centre-ville. Le
lendemain matin, le constat est immanquable! Plusieurs personnes se meuvent
comme de vrais zombies. Ils passeront leur journée entre fainéantise, mal de
tête et envie de rien! Je vais finaliser, de mon côté, les petites démarches
que j'avais à faire et quelques achats, après être allé courir.
Nous devons quitter la marina de Whangarei, le dimanche 19 Mai. En
effet, la commune construit un nouveau pont. Pour la finalisation et la
jonction des deux rives, le canal menant à la mer sera fermé. Cela prend effet
à partir du lendemain, pour une semaine. La fenêtre météorologique n'est pas
parfaite pour ce jour. Alex et Leigh manquent encore à l'appel. André a donc décidé
de se rendre à Marsden Coves. C'est une marina nouvelle et ultra-moderne, à
l'entrée de la baie de Whangarei. Le départ est imminent. Il nous reste plus
qu'à déterminer la meilleure date de départ et remplir l'ensemble des
formalités douanières! André, Adam, Rosalie et moi-même, nous nous rendons dans
la matinée pour faire les derniers achats en supermarché. Ces derniers pourront
être vitaux pour certains mais aussi plaisirs. Nous achetons plus de 200 litres
d'eau que nous stockerons sur le bateau en cas de problème du dessalinisateur.
Nous faisons le plein aussi d'autres liquides tel que le lait, du jus de
fruits, quelques boissons aromatisées.
André aime dire que le bien être de l'équipage passe par le bonheur du capitaine.
Le chocolat est un élément à prendre en compte dans cette équation. Nous achèterons
donc des tablettes de chocolat, du Nutella, des Kit-Kats...
Après 12 jours resté à quai, Il est temps de faire un pas de plus vers
ce départ. Ce dernier ne fait maintenant plus du tout partie d'un projet
ésotérique inabordable mais bien d'une réalité que nous allons vivre! Adam
conduira le véhicule tout terrain d'André sur place. Moteurs allumés, nous
faisons route sur Sarava, avec André et Rosalie, vers notre dernier port avant
le grand large! C'est sous un grand soleil que nous amarrons le bateau au
ponton. Leigh va nous rejoindre avant le coucher de soleil. Alex suivra à la
nuit tombée. Pour la première fois, nous sommes enfin tous réunis. Nous
passerons notre première nuit à 6 sur le bateau. J'ai, depuis l'arrivée d'Adam
sur le bateau, regagné la petite cabine d'équipier que je vais partager avec
Alex. Ca sera la première nuit que nous y dormirons à deux. J'ai choisi le lit
superposé supérieur!
Le lundi 20 aurait pu être la date choisie du grand départ. Les
conditions étaient idéales en début de soirée. Mais Leigh s'est rendue, en
matinée, à Auckland pour faire les derniers achats nécessaires avant le départ
(remplissage de la bonbonne de gaz, récupération de pièces commandées,...).
Aucune possibilité d'effectuer l'ensemble des démarches douanières sans la
présence de l'ensemble des membres d'équipage. Ayant d'autres obligations, le
douanier sera déjà parti dans l'après-midi quand Leigh sera finalement de
retour! Le départ est maintenant retardé au moins de 12h00! Mais Nous sommes
fin prêts, en standby, déjà dans les starting blocks!
Me voilà finalement en face de cette expérience tant attendue! Je vais
effectuer pour la première fois une traversée océanique. Le Pacifique va être
notre terrain de jeu pendant les prochains jours. Mon journal de bord quotidien
retracera au mieux ce qui va être vécu, à bord de Sarava.
Mardi 21 Mai 2013:
"Branle-bas le combat"! Tout le monde est levé de bonheur,
prêt à en découdre avec la navigation: border, chopper, barrer, prendre un ris,
en larguer un, abattre, lofer, affaler la grande voile vont très vite faire partie
du vocabulaire commun sur le bateau. Ces mots s'accompagneront surtout de
gestes quotidiens, de manœuvres pour régler le bateau. Tout cela sera impacté
par les conditions météorologiques et l'état de la mer!
Être capitaine à bord implique aussi une certaine discipline, la prise
de décisions pouvant mettre en péril le bateau et donc l'équipage. Sans dramatiser
la situation, le skipper doit définir une route pour maintenir le cap et
arriver à la destination désirée! Les fichiers météorologiques des 96h00
prochaines heures, qu'il reçoit grâce aux satellites, deux fois par jour,
permettent d'affiner les décisions, et de redéfinir, ou non, le cap. Les
données principales sont la direction et la force des vents dans la zone de
navigation. Des vents de Nord-Nord-Ouest nous poussant vers l'Est sont prévus
pour les prochaines heures.
Les démarches douanières sont nos dernières obligations avant de prendre
le large. Tous nos papiers ont été pré remplis. La venue du douanier sera donc
une simple formalité administrative. Nous larguons les amarres à 10h39. Départ
de Whangarei en Nouvelle-Zélande: Latitude 35°51' Sud, longitude 174°40' Est.
Nous avons, pour une trajectoire idéale, 2703 miles de navigation à parcourir
avant d'arriver sur les archipels des Gambier en Polynésie française (2703
miles nautiques = 5006 kilomètres [2703 x 1,852])!
Des amis d'André présent dans la marina nous souhaitent "Bon
Vent!" Nous ne sommes pas prêt de remettre un pied à terre. Sauter, par-dessus
bord, pour rejoindre le rivage, serait la seul façon pour un membre de
l'équipage de ne pas être de la partie navale à laquelle nous faisons
face. Qui pourrait être pris de cette
soudaine peur de l'inconnu? Aucun des 6 membres ne sera submergé par un tel
sentiment de terreur. Bien au contraire, le moral est au beau fixe,
l'excitation monte dans nos rangs. Je me trouve, avec Rosalie, sur le
trampoline à l'avant du bateau (filins tissant une vrai toile élastique sur une
surface de plusieurs mètres carrés. Ils relient les deux coques et le
"bout dehors" au centre). Nous avons un sourire qui monte jusqu'aux
oreilles. Nous avons envie d'exulter, de sauter partout mais calmeront nos
ardeurs et feront simplement un peu les fous!
La mer est calme, le ciel est bleu, l'ambiance est électrique. Nous
allons voir tout au long de la journée les côtes s'éloigner petit à petit. Les
conditions sont parfaites pour effectuer l'apprentissage des manœuvres
rudimentaires de la voile et de s'assurer de nos capacités à répondre
efficacement à la demande de manœuvre du capitaine. André est un skipper
expérimenté. Marin aguerri, il a commencé à faire de la voile à l'âge de 11
ans. Il sera nous donner de précieux conseils. Il va garder son sang-froid à
mainte reprise malgré qu'il ne soit pas le meilleur pédagogue, existant sur la
planète terre. Les coups de gueule, qu'il poussera, sont apparemment monnaie
courante chez les skipper vis-à-vis de leurs matelots. Cette règle est encore
plus vraie quand ces derniers n'effectuent pas parfaitement, et dans un bon timing,
la manœuvre demandée!
Nous allons rapidement passer en revue les mesures de sécurité, les
règles à respecter pour éviter de se mettre en danger. Il y a par exemple le
port du harnais que l'on attache à la ligne de vie lors de manœuvres,
particulièrement par gros temps, ou la nuit. Le fait de ne pas sortir du
cockpit sans être précautionneux est une règle de base pendant la journée. Ce
mouvement est totalement proscrit en pleine nuit, exception faite des manœuvres.
André nous conseille, principalement aux hommes, de ne pas nous soulager
la vessie par-dessus bord! Une statistique démontre que plus de 50% des naufragés,
retrouvés morts après être passé par-dessus bord, ont la braguette ouverte!
Nous apprenons les quelques dispositions et procédures en cas d'homme à
la mer. Mais encore une fois la prudence est mère de sûreté! André aime nous rappeler
l'adage terrifiant et morbide, vérifié tout de même à plus de 95%: "Tu
tombes, tu meurs!" Bizarrement tu n'as pas envie d'essayer pour, peut-être,
avoir une histoire de miraculé à raconter...
Une routine va s'installer rapidement. Même si elle va être aussi, et
très souvent, cassée par des événements impromptus. Le quotidien va se régler par certaines
obligations. La première, la plus importante, est celle des Quarts. En effet,
le bateau est en perpétuel mouvement, 24h00/24. Il est lancé de jour comme de
nuit à travers cette étendue d'eau infinie. Il faut donc toujours une personne,
au moins, pour surveiller la course du bateau, les possibles changements
météorologiques, être prêt à manœuvrer, faire le guet assez régulièrement, et
s'assurer qu'il n'y a aucun danger potentiel, tel qu'une possible collision
avec un autre navire... Faire un quart consiste donc pour un individu à être
réveillé, être attentifs au bateau et à l'environnement dans lequel il évolue.
Etant 6 personnes à bord, et pour permettre une meilleur convivialité, il a été
décidé d'un commun accord d'une organisation bien ficelée. Nous sommes 5 à
faire des quarts de 4h00. Il y a toujours 2 personnes simultanément. Mais une
rotation s'effectue toutes les 2h00. A la fin de son quart, le matelot a 6h00
de "quartiers libres" avant de reprendre une nouvelle veille de 4h00
et ainsi de suite! L'ordre des personnes en quart va se faire par tirage au
sort. Pour ma part, je succéderais à Leigh. Je ferais les deux premières heures
de mon quart avec Alex, puis les deux suivantes, avec Rosalie, avant qu'Adam me
succède. Cette organisation qui pouvait être amenée à évoluer au cours de la
traversée, restera finalement figée! Je vais donc passer beaucoup plus de temps
avec Alex et Rosalie qu'avec n'importe quel autre membre de l'équipage! A la
lumière du jour, des vas-et-viens réguliers de personnes se produisent. Mais la
nuit, c'est majoritairement à deux que nous retrouvons.
André n'est pas comptabilisé dans cette rotation journalière. Etant la
seule personne expérimentée à bord, il se doit d'être présent à toutes les manœuvres
importantes. Il est en alerte permanente. Même en plein sommeil, par habitude,
un changement du comportement du bateau, une grosse modification des vents ou
de l'état de la mer, le réveilleront instantanément. Dans le monde marin, il
est dit qu'il y a "Dieu, les hommes, et le skipper" et que très
souvent en navigation le "skipper se prend pour Dieu". Cette
traversée sur Sarava ne dérogera pas à la règle! J'aurais l'occasion de m'y appesantir
un peu plus longuement ultérieurement.
Parmi les activités régulières, il y a entre autre la tenue du carnet de
bord. Il s'agit à chaque changement d'heure de relever la position précise du
bateau, les conditions météorologiques, la barométrie, le vent, la force et la
hauteur des vagues et de la houle, la distance restant à parcourir jusqu'à la
destination finale et la distance effectuée la dernière heure par rapport à cet
objectif! Certains commentaires sont ajoutés au moment opportun comme le fait
d'avoir effectué une manœuvre, un fait de bord particulier, le lever et coucher
du soleil... Puis, il y a des activités un peu plus routinières, tels monsieur
et madame tout le monde. Par exemple le fait de laver la vaisselle, de faire un
peu de ménage, de travailler sur certains projets personnels, écouter la
musique, lire ou regarder des films...
Nous essaierons autant que faire se peut, de partager nos repas ensemble,
au moins le déjeuner le dîner! C'est un vrai bonheur d'avoir un chef cuisinier
expérimenté à bord! Nous allons manger de très bons produits et de la bonne
cuisine. Adam va très souvent préparer les repas. Mais il ne sera pas le seul.
Chacun mettra la main à la pâte et nous proposera une de ces spécialités
culinaires...
Lors de mon quart, après 14h00, nous avons en visu, à tribord (à droite
du bateau quand on regarde vers l'avant du bateau, dans le sens de la
navigation / bâbord est à gauche), un gros cargo. Etant un bateau à voile, nous
sommes prioritaires sur lui. Il passera finalement derrière nous, à vive allure,
après avoir modifié légèrement son cap. Nous ne le savons pas encore mais ça
sera le dernier navire que nous allons voir avant longtemps!
Cette première journée promet une traversée sensationnelle. Tout le
monde est content d'être là, de tenter une expérience qui reste toujours forte
même si ce n'est pas une grande première pour tous! Pour Leigh, Alex et moi-même
c'est le cas! Pour Adam, c'est une grande première en voilier. Rosalie en est à
sa quatrième mais celle-ci sera probablement la plus longue jamais effectuée.
Même André le plus aguerri n'en est qu'à sa neuvième traversée! En gros ce que
nous vivons n'est pas un acte quotidien même pour les marins amateurs au long
cours! La côte s'éloigne inexorablement. Puis elle va finir par disparaître
dans les nuages.
Mercredi 22 Mai:
A mon réveil, le soleil et le ciel bleu sont présents! A 360°, nous
sommes maintenant entourés par cette masse d'eau gigantesque à perte de vue!
D'ailleurs cette dernière ne va pas rester paisible très longtemps! Petit à
petit, le vent forcit, la houle se forme! Le bateau perd assez vite de sa
stabilité. Il commence à subir de plus en plus les effets du roulis (mouvement
de balancier d'un côté sur l'autre) et du tangage (mouvement de balancier de
l'avant vers l'arrière)! Très rapidement, certains membres de l'équipage vont
expérimenter le fameux "Mal de Mer"! La coupable est toute désignée,
c'est l'oreille interne! Le monde mouvant des océans joue avec le cerveau
humain. Il lui fait perdre ses références, ses repères. Et oui, nous ne sommes
plus sur notre bon vieux plancher des vaches qui ne bouge pas! Les conséquences
peuvent être désagréables: Maux d'estomac et de tête, Sensation d'être
nauséabond. L'envie de redonner en offrande à la mer et à dame nature, la
nourriture que nous venons d'ingurgiter, peut devenir la seule solution! Les
pires ennemis quand la personne y est sensible sont la mer agitée, les
mouvements permanent, le fait de se concentrer sur quelque chose en
particulier... Comme en voiture, le fait de lire, de jouer à un jeu, de façon
plus général, d'utiliser sa vision de prêt est à proscrire. Un des meilleurs
remèdes est de sortir prendre un grand bol d'air à l'extérieur et de concentrer
son attention et sa vision sur un point fixe à l'horizon. Le grand huit mental que
fait le cerveau se transforme alors petit à petit en manège pour enfants...
Mais à en croire, les personnes atteintes par ce syndrome désagréable, cela ne
suffit pas forcément. La personne la plus touchée est Alex. Il est talonné de
près par Leigh. Rosalie aura lors de la traversée quelques signes de Mal de mer
mais elle ne sera pas plus toucher que cela.
Selon les marins, il n'existe pas vraiment de traitement garanti. Le
fait de s'amariner (c'est à dire de devenir de plus en plus marin) serait le
meilleur des remèdes. Si cela ne marche pas, un institut français, localisé à
Brest, aurait inventé une thérapie de choc pour supprimer les effets du Mal de
Mer. Et puis tout le monde n'a pas le pied marin! Il faut parfois être
conscient de ces capacités et savoir renoncer... A moins d'aimer souffrir et
être dans un état de déchéance totale! Je l'ai vu déjà auprès de marins
professionnels travaillant sur un bateau militaire et qui ont le mal de mer
pendant au moins 24h00 à chaque fois qu'ils reprennent la mer
Je n'ai pas ce problème. Comme André et Adam, je ne montre et ressent
aucun signe latent d'atteinte de ce mal.
La journée, temporellement parlant, s'évapore comme sous l'effet du
soleil qui darde ses rayons sur la surface liquide bleuté des océans. Cet astre
roi se couchera à 17h00, heure locale néozélandaise. Il marquera ainsi la fin
d'une belle journée!
En début de soirée, à 20h35, je suis de quart avec Alex quand un
événement des plus intéressants se
produit! Pour s'en rendre compte, nous avons les yeux rivés sur le tableau
lumineux du système de navigation et sur la localisation spatiale du bateau et
nos coordonnées!
Le relevé à 20h00: est de 2449 miles à parcourir jusqu'à destination,
mais surtout 35°27' Sud 179°56' EST.
Le relevé à 21h00 est le suivant: 2440 miles à effectuer, 35°28' Sud
179°45' OUEST.
La latitude est définie par rapport à l'équateur. Les informations des
deux relevés, à une heure d'intervalle, nous apprend seulement que nous restons
sur un même parallèle. En revanche la Longitude, dont le zéro se trouve sur la
ligne de Greenwich (passe quelque part en Angleterre) est passée du secteur Est
de la terre au secteur Ouest. Cela nous apprend quelque chose d'inédit, unique
au monde. Non seulement, nous changeons de fuseau horaire à cet instant. Mais
nous venons aussi et surtout de faire un bond dans le passé en retournant une
journée en arrière, 23h00 plus tôt. En Polynésie, nous sommes encore le Mardi
21 Mai.
Pour conserver une logique sur le bateau et avoir un carnet de bord
décent, nous conservons l'heure de la Nouvelle-Zélande, point de départ. Nous
nous ajusterons temporellement seulement quand nous arriverons sur notre
nouvelle terre d'accueil!
Le vent augmente progressivement, la mer se forme de plus en plus. A la
fin de mon quart, juste avant minuit, nous prenons un ris (cela équivaut à
diminuer la voilure, donc la taille de la grande voile. il s'agit de descendre
la grande voile en donnant du mou au niveau de sa drisse. Prendre un seul ris
implique le fait de descendre jusqu'au niveau suivant, où on peut de nouveau la
bloquer et la mettre en tension. Un Anneau sur la grande voile est tenu par un
système de fixation au mât! Des cordages passent dans la bôme. Ils sont reliés
à la voilure, à son extrémité, au niveau de la poupe [arrière] du bateau pour
tendre cette dernière).
le bateau est un peu secoué mais je pars me coucher tranquillement pour
passer une deuxième nuit tranquille sur le bateau et me réveiller pour mon
prochain quart dans 6h00!
Jeudi 23 Mai:
"Est-ce la fin d'une belle aventure? Le bateau va t'il se déchiqueter
en mille morceaux? Est-ce déjà la fin de nos jeunes vies?" Toutes ces
questions vont submerger mon esprit alors que je suis réveillé en sursaut, peu
de temps après que je sois allé me coucher!
Des éclairs déchirent le ciel. La lumière, pénétrant par les hublots, au-dessus
de ma tête, et sur le côté, est intense! J'y vois, par intermittence, comme en
plein jour. La tempête fait rage! Les bruits sont assourdissants! Le tonnerre
participe à cette ambiance macabre. Mais le plus impressionnant reste les
vagues venant frapper les coques du catamaran! On pourrait se croire en temps
de guerre. J'ai le sentiment d'être sur un champ de tir et de mines.
Sommes-nous bombardés par des avions, canardés par les chars, ou recevons-nous
des grenades d'artilleurs? Peut-être avons-nous été avalé par un rouleur
compresseur marin qui voudrait aplatir le bateau?
Je n'ai jamais vécu une telle expérience. J'ai l'impression de vivre un
cataclysme! Mes sentiments sont confus. A l'intérieur j'ai maintenant le
sentiment d'être dans une machine à laver... je ne peux pas rester figé. Je me
dois de faire quelque chose. Je ne peux pas être rassuré, alors que les bruits,
et la résonance à l'intérieur de la coque donnent l'impression que le bateau va
se fissurer en deux! Je ne peux pas rester allongé dans ma couchette. Je décide
de monter dans le carré! Ce dernier est vide. Les vagues passent au dessus du
bateau. La houle de vent arrière nous fait surfer des vagues monstrueuses. La
lumière est toujours aussi intense et les bruits sourds viennent définitivement
mettre à mal mon sang froid! Rosalie et Adam sont dans le cockpit, à
l'extérieur. Ils se tiennent fermement à
ce qu'ils peuvent. Impuissants, ils admirent un spectacle stupéfiant et
terrifiant. André est aux manœuvres. Il affale la grande voile et règle le
bateau. L'objectif est que le bateau puisse le mieux possible subir les
éléments naturels qui se déchainent. Nous ne naviguons plus qu'avec le Génois,
déployé seulement à 40% de sa voilure
totale (Voile à l'avant de petite importance. Sur ce bateau, l'enrouleur sur
lequel il est monté, permet de plus ou moins ouvrir cette voile. Sur d'autres
bateaux, ils possèdent des voiles avec emmagasineur. Ils ne peuvent donc pas
déployer une des voiles avant de façon partielle. Pour pallier à ce manque, ces
derniers possèdent plusieurs voiles à l'avant; la trinquette, le génois, le
phoque, le Spinnaker qu'ils déploient selon la force des vents). Malgré cela,
nous avançons toujours à plus de 10 nœuds de moyenne (10 Knots en anglais = 10 nœuds
= 10 miles/h =18,52 km/h). Des rafales de vent dépassent les 49 nœuds (environ
83 km/h). Nous naviguons dans des creux de plus de 8 mètres de hauteur
dépassant parfois et allégrement les 10 mètres (soit un immeuble à deux
étages)!
Pas de panique, un marin ayant parcouru plusieurs océans aura sûrement
été confronté à des conditions plus extrêmes que celles-ci! Mais pour une
deuxième nuit d'une première traversée, nous sommes gâtés! Après de longues
minutes, je regagnerais finalement ma couchette. Il me faudra encore un peu de
temps pour faire abstraction des éclairs et des bruits des vagues venant
s'écraser sur la coque. Finalement
j'arriverai à trouver le sommeil!
C'est au grès du soleil que je me réveillerai juste avant mon quart, à
5h55! L'astre central de notre système solaire se lève doucement sur cette
partie du globe terrestre, avec de jolies couleurs qui illuminent l'horizon.
Les conditions sont moins extrêmes que pendant la nuit. Le beau temps est au
rendez-vous mais les vents sont toujours assez forts. Nous surfons sur des
vagues de plus de 5 mètres. Elles viennent de l'ouest et nous poussent donc par
l'arrière. Petit à petit, le vent se stabilise nous permettant de remettre la
grande voile au deuxième ris (sur une majorité des grandes voiles, ils existent
trois ris. Il y a donc cinq positions: Pleine Voile, 1ier ris, 2ième ris, 3ième
ris, et voile affalée). Pendant la journée nous commençons à trouver notre
rythme de croisière! Quand nous ne sommes pas de quart, nous passons notre
temps à discuter, lire, regarder un film, écrire, jouer à des jeux de société.
Enfin pour ceux qui peuvent se le permettre sans risquer de se sentir mal!
C'est pourquoi Alex et Leigh passerons la plupart de leur temps allongés dans
leur lit ou sur la banquette du salon, en fermant les yeux, pour supprimer
autant que possible ce mal qui les habite!
Je vais de mon côté, à plusieurs reprises être le Timonier (l'homme à la
barre). J'apprends, petit à petit, à manier la roue à gouverner qui permet de
faire tourner le bateau. Le mouvement de rotation de la roue se transforme en
mouvement angulaire, dans l'eau, des safrans. Au nombre de deux, ils se trouvent
sur les 2 coques à l'arrière.
J'essaie de garder le cap, d'avancer le plus droit possible. Le courant
et surtout les vagues que nous surfons avec le bateau et qui ont tendance à
nous déporter, ne me facilite pas le travail. Je vais aussi être le Gabier
(homme manœuvrant les voiles) lors de mon quart quand, avec André et Alex, nous
larguerons un ris!
La nuit arrive très vite! La lune est presque pleine. Tel un lampadaire
géant pour voilier, elle illumine la nuit, l'océan. Elle nous permet d'y voir
presque comme en plein jour! Je vais assister à un phénomène inédit pour mes
yeux. Un arc-en-ciel dû à la lumière de la lune. En effet, des grains (fortes
averses souvent de courtes durées qui ont une fâcheuse tendance à créer des
vents puissants beaucoup plus forts que le vent établi) sont présents autour de
nous! La lumière de la lune est, cette nuit-là, suffisante pour voir un bel
arc-en-ciel se former. Il est moins lumineux que ces frères de jour. Mais
n'ayant jamais pu en observer un auparavant, je resterai sans voie!
Vendredi 24 Mai:
Mon quart de nuit va être intéressant. Nous participons dans la nuit à
un virement de bord pour redresser le cap, suite à un changement de direction
du vent. Le seul moyen de bien maîtriser les manœuvres sur un bateau est de les
répéter encore et encore après avoir théoriquement compris le principe. Il est
important de connaître les cordages et leur fonction, la fonction des
bloqueurs... Cela me réjouit de pouvoir le plus rapidement possible avoir assez
de connaissances pour être capable un jour, si jamais j'en ai envie, d'être
totalement indépendant pour cette activité. J'aime le fait qu'elle soit au plus
proche de la nature. Il n'y a pas tant de variantes que cela, mais elle reste
complexe. Une petite erreur, une faute d'inattention peut parfois avoir des
conséquences désastreuses, voir fatales!
Peu de temps après, nous assistons, avec Alex, à un magnifique coucher
de lune orangée à l'horizon. Le changement est brutal. La nuit est maintenant
totale. Cela fait presque peur de sortir dans le cockpit. Nous avançons dans une
masse noire sans plus aucun repère, si ce n'est parfois quelques étoiles qui
peuvent être considérée comme des lueurs d'espoir. Le lever du soleil va
finalement arriver 4h00 plus tard, embrasant le ciel après lui avoir redonné
des couleurs.
La matinée devrait être plus calme. Un problème avec le générateur
électrique va un peu contrecarrer nos plans initiaux! Un bateau est une vraie
ville en miniature qui se doit d'être totalement autonome. Bizarrement, Sarava,
n'est ni équipé d'éolienne, ni de panneaux solaires. Ces moyens de production
d'énergie sont pourtant très courants sur des bateaux effectuant des voyages au
long cours. Encore une fois, nous pouvons constater que le propriétaire n'a pas
de soucis financés, et n'est pas forcément très soucieux de l'environnement! Il
n'a surtout pas transformé son bateau de série, en un bateau de navigation
économique et écologique. Quoi qu'il en soit, nous sommes totalement dépendants
de cette énergie fournie par ce générateur, qui fonctionne au diesel.
L'électricité créée permet d'alimenter les systèmes du froid pour le
congélateur et réfrigérateur, les éclairages pour la navigation, tous les
appareils électriques à bord, les lampes. Un des plus gros consommateurs
d'énergie, que nous utilisons quasiment en permanence, est le pilote
automatique. N'étant pas sûr de pouvoir réparer la panne, André envisage le
pire. Il décide de diminuer le plus possible notre consommation.
Le fait de barrer manuellement, qui était un plaisir, devient maintenant
une obligation. Nous allons nous relayer à la barre progressant ainsi
considérablement dans le maniement de cette dernière. Le fait de garder le cap
implique de faire corps avec le bateau et de savoir analyser les éléments
extérieurs que sont le vent, le courant, et le déplacement de la houle et des
vagues. Un bon positionnement du bateau par rapport à ces trois éléments engrange une vitesse spectaculaire du bateau,
qui accélère encore plus quand il surfe une vague. En revanche la sanction peut
être sévère au moindre écart, surtout par ce vent arrière qui a maintenant
tourné plein ouest! Le pire des scénarios, redouté par tant de marins, c'est
l'empannage! En effet, si le bateau est mal positionner par rapport au vent, ce
dernier peut très rapidement s'engouffrer du mauvais côté de la voile et
engendré une brutale rotation de la bôme. Le risque majeur est de casser du
matériel vital pour le bateau tel que le chariot de grande voile (qui permet
normalement doucement de la faire glisser d'un côté à l'autre du bateau), la
bôme, voir même dans des conditions extrêmes le mât.
Malgré ces conditions de mer agitée, la journée est belle! De nombreuses
averses, intenses mais de faibles durés, produisent des arcs-en-ciel en
pagaille! Au total dans la journée, j'en compterais plus de 11, dont deux
doubles. Les couleurs ressortent de façon ahurissante et tellement flashies! Je
viens, je pense, d'en voir plus que je n'avais jamais eu l'occasion d'en
visionner en une journée!
Depuis le début, de nombreux oiseaux tournent autour du bateau. Ils viennent
faire les curieux. Sont-ils intrigués par cet objet flottant qui pourrait leur
servir de terre d'exil, ou plutôt d'accueil? Veulent-ils se reposer un peu au
beau milieu de cet océan avant de reprendre leur envol? J'opterai plus pour la
solution de la nourriture facile, assimilant notre voilier aux nombreux bateaux
de pêche qui sillonnent les mers. Nombres de ces oiseaux me fascinent, surtout
quand ils font du rase-motte au-dessus des vagues, épousant parfaitement le
relief de la mer pourtant bien formée. Je suis en extase spécialement devant
les albatros. Mais d'autres oiseaux magnifiques vont aussi, et finalement,
gagner mon cœur!
Une journée aussi belle peut se composer que de bonnes nouvelles. Après
beaucoup d'essais, de tentatives de réparations et quelques coups de téléphone
au fournisseur, grâce au téléphone satellitaire, nous trouverons finalement la
solution pour réparer le générateur. Nous avons cherchés une solution
compliquée, la possibilité de court-circuiter un composant pour supprimer le message
d'erreur. Il nous suffira finalement de déconnecter et reconnecter un câble
pour que ce dernier fonctionne, tel un appareil neuf! Une mauvaise connexion
quelque part dans un circuit électrique et les problèmes arrivent rapidement.
La facilité d'accès au lieu en cause nous simplifiera énormément la vie!
Le coucher de soleil intense viendra ponctuer la fin d'une journée
parfaite de navigation.
L'arrivée de la nuit noire s'accompagne immédiatement d'un temps se
durcissant, de vents changeants, et de vagues, qui font varier notre cap d'un
angle de plus de 80° lors de surf énormes! Peut-être que les effets de la plein
lune qui affectent aussi bien les marées que les événements climatologiques
sont à mettre en cause? Quoi qu'il en soit, il n'y aucune comparaison, de mon
point de vue, entre cette soirée et la nuit précédente. L'habitude participera
aussi à une sensation de confort plus grande. Malgré tout, les mouvements de
roulis et de tangage sont toujours présents! Toujours courte, la nuit sera
complète et effectuée d'une traite me concernant!
Samedi 25 Mai:
Le temps s'est calmé, la houle est moins forte mais le vent réel
continue de souffler à plus de 25 nœuds de moyenne. Le vent apparent, résultant
du vent réel et de la vitesse du bateau est d'un peu moins de 20 nœuds. Le vent
vient du Sud Est!
Nous allons encore avoir la chance de pouvoir admirer plusieurs
arcs-en-ciel. Je vais barrer pendant plus de 4h00 en fin de matinée faisant
d'immenses progrès dans la conservation d'un cap donné, et la capacité à conserver
une vitesse rapide, la plus constante possible.
En milieu d'après-midi, André est à la barre. Il va nous faire une vraie
leçon de navigation. Il joue en permanence avec la roue à gouverner pour
redresser le cap et positionner le bateau parfaitement dans la vague. Son but
est de prendre le plus de vitesse possible, et surtout de ne pas en perdre
après avoir fini de surfer sur la vague. Il se concentre sur le côté du bateau.
L'idée est de prendre initialement de la vitesse sur une petite vague. Le milieu
du bateau est un bon indicateur pour positionner le bateau. Avec cette vitesse
initiale, sur des vagues de faibles amplitudes, le bateau est en mouvement. Il
file sur l'eau et va pouvoir surfer la vague comme désiré.
Le vent va s'affaiblir au fur et à mesure de la soirée. Nous larguons un
premier ris, puis nous remontons la grande voile à son zénith. Nous allons nous
retrouver très rapidement dans l'œil de l'anticyclone.
Dimanche 26 Mai:
La mer est plate, le vent quasi nul, au réveil ce dimanche matin! La
grande voile est affalée, et le phoque roulé. Les moteurs ont été allumés. Nous
assistons, avec Rosalie, à un super lever de soleil pendant notre quart.
Toujours aucun bateau en vue! Nous sommes au milieu de nul part ou plutôt en
plein milieu de l'océan. Si nous coupions les moteurs, nous serions, à cet
instant, à l'arrêt total. Le calme et la plénitude des sens seraient au
rendez-vous! Pourtant ce n'est pas du tout le ressentiment! La cause est
simple; les moteurs qui font vibrer toute la structure et qui produisent un
bruit assourdissant constant!
Le bruit du vent dans les voiles est un phénomène beaucoup plus doux à
mes oreilles. Mais l'homme a une faculté d'adaptation impressionnante. Et je
préfère pour ma part "voir le verre à moitié plein, plutôt que le verre à
moitié vide"! Le vacarnaum du moteur devient très vite un bruit de fond.
"Je n'y pense plus et en plein milieu de l'océan, j'admire la couleur de
l'eau qui est d'un bleu incroyable!" L'eau n'est vraiment pas froide par
rapport à l'idée que je m'en faisais. Elle atteint, au thermomètre marin dont
est équipé Sarava, 18°C.
Ce temps se prête parfaitement à quelques modifications et réglages
nécessaires sur le bateau. Nous coupons les moteurs alors que le vent commence
à souffler suffisamment pour avancer grâce à la pression de ce dernier sur les
voiles. Pour ma part, Je vais m'enfermer dans la cale arrière bâbord à côté du
moteur diesel. Je vais remplacer un détecteur de niveau d'eau abîmé par
l'action du temps. Il est maintenant inefficace. Il ne remplit plus son rôle
d'indicateur de cale trop remplie d'eau. L'alerte indique la nécessité qu'elle
soit purgée. Je modifie aussi une valve de circulation d'eau pour le
refroidissement du moteur. Je trouve cela intéressant de mettre les mains dans le
cambouis!
Ce qui m'amuse encore plus, c'est le fait que je ne fasse pas du tout ce
genre d'activités dans ma vie de tous les jours, et encore moins dans mon
activité professionnelle. Pourtant quand je dis à des inconnus que j'ai un
diplôme d'ingénieur mécanique, il m'associe spontanément à ce genre d'activité.
Le nez plongé dans le moteur! Non je ne suis pas un mécanicien! "Détrompez-vous
les amis, Mes deux derniers emplois en tant que responsable de projets
spécifiques dans l'industrie de l'imprimante pour cartes plastiques, puis de responsable de l'équipe de support
pour toutes questions techniques à un client étranger dans la construction de
sous-marins, ne me donnent pas de compétences particulières dans la réparation
propre d'un moteur! Je possède tout de même des bases acquises lors de mes
études et des travaux pratiques liés à ces dernières!"
Quoi qu'il en soit, je vais réparer le capteur, le moteur et sa valve en
quelques minutes. Cela sera fait sous l'égide des conseils avertis d'André! En
effet, Skipper d'un tel engin ne demande pas seulement d'être un surdoué en
navigation, ou d'être un expert du choix de la route et du cap à suivre! Il
faut, autant que possible, être polyvalent. Avoir des bases en mécaniques, en
électronique, en menuiserie, en climatologie et météorologie... sont presque une nécessité pour éviter des
problèmes insolvables, esseulé en pleine mer! La partie logistique et la
préparation d'un tel périple se doivent d'être aussi bien ficelés!
Ce début de matinée très occupée s'accompagnera ensuite d'un super
petit-déjeuner. Au menu: omelette aux fromages, sandwich toasté avec beurre,
jambon, tomate, et gruyère, et des fruits. Il y a aussi un breuvage de notre
choix: café, thé, et chocolat froid ou chaud. Les activités s'enchaînent avec
dans le cockpit une séance de Yoga puis de musculation pour les personnes
motivées. Cela fait un bien fou de se détendre, de s'étirer et de pouvoir
pratiquer un peu d'exercice physique! Surtout que sur le bateau les repas sont
copieux, riches et en abondance! Nous avons tous les jours le droit à une
nouvelle viande (bœuf, agneau, porc), des plats en sauce, accompagnés avec des
légumes mijotés dans le beurre, ou à la crème, du pain et du fromage, de la
salade, des fruits, du chocolat. Il ne
manque plus que le vin, prohibé sur Sarava pendant la traversée, et nous
aurions de vrais repas de fêtes! Mais vous comprenez très bien pourquoi cette
abondance et le peu d'activité physique réellement possible peuvent à un moment
ou à un autre ne pas convenir à nos organismes. En tout cas, pour moi,
physiquement et mentalement parlant, cela n'est pas envisageable sur une durée
trop longue!
Lundi 27 Mai:
le temps s'est couvert petit à petit. Une ambiance grisâtre est venue
remplacée ce festival de couleurs mêlant le bleu, le jaune, le rouge, le blanc,
et la palette des couleurs visibles à l'œil nu, délicieusement peinte, et
créant ce phénomène suivant la courbe de notre belle planète terre;
l'arc-en-ciel!
En termes de navigation, nous allons être bénis des dieux. Le temps est
parfait! Le pilote automatique restera le barreur attitré de la journée. Les
hommes de quart doivent seulement faire
le tour du propriétaire toutes les 20 minutes environ. Ils vérifient qu'ils n'y
a pas de bateau à l'horizon, que le bateau garde le cap souhaité, que le
réglage des voiles est affiné pour conserver la meilleur vitesse possible.
Le vent est constant, environ 20 nœuds de vent apparent. Toutes voiles
hissées, nous filons à une moyenne horaire de plus de 9 nœuds, sans être
secoué, en raison d'une mer calme. Cela mérite un petit complément
d'explication. Sur ce bateau la vitesse idéale est autour de 10 noeuds (soit
pour rappel 18,52 km/h). Le catamaran offre sur l'eau cette possibilité de
vitesse incroyable que les monocoques n'égaleront jamais. Sur un monocoque de
série pour grand public, une pointe horaire de 7 nœuds est considéré comme
exceptionnelle. La stabilité d'un catamaran et son confort ne sont pas
comparables avec le fait qu'un monocoque, sous voiles, à une tendance viscérale
à la gîte. Si vous combinez ce phénomène
avec une tendance accentuée au roulis et au tangage, vous diminuez sérieusement
les performances d'un bateau. Le catamaran a aussi la faculté, par vents assez
faibles, et avec un angle apparent idéal, de pouvoir utiliser la vitesse du
vent réel au maximum de son potentiel. La vitesse du bateau peut alors coïncidé
avec la vitesse du vent! En revanche, un vent arrière ou un vent de face, ne
sont pas une bonne chose pour tout type d'embarcation, mais encore plus pour un
multicoque. Avec un vent de face par exemple, il est nécessaire de tirer des
bords. C'est à dire qu'il faut multiplier les manœuvres pour réussir à avancer
en zigzague. Le catamaran à besoin d'un angle apparent minimum de 30°, pour
être efficace. Ce chiffre tombe à moins de 15° pour un monocoque.
Les arguments en faveur de l'un et l'autre des bateaux sont multiples.
Une bataille rangée d'arguments fait rage entre monocoque et multicoques sur
les pontons (gîte, tirant d'eau, roulis, tangage, rôle de balancier de la
quille lestée présente ou non, impliquant la possibilité de ne pas se retourner
définitivement, ou de se retrouver tel une tortue sur sa carapace pour le multicoque,
le fait de taper ou non dans la vague en raison de l'effet tunnel [liaison
entre les deux flotteurs du multicoque], espace de vie, et confort au
mouillage...). Les puristes affirment que seul un monocoque permet de vraiment
vivre et ressentir la navigation. N'ayant pas une expérience très importante
dans la navigation à voile en général, et hauturière encore moins, je ne me
permettrai pas de juger.
J'aime l'espace de vie très grand d'un catamaran aussi bien dans le
carré par mauvais temps que dans le cockpit par ciel bleu! Nous allons beaucoup
en profiter lors de cette journée. Nous vaquons à divers activités. Les parties
d'échec vont se multiplier, d'autres regarde des films, fabrique notre pain du
jour, jouer à la console vidéo lorsque le générateur est allumé, regarde un
film,... Certains ne vont pas mettre un pied dehors lors de cette journée,
vivant comme dans un appartement, une vie recluse, sans contact avec la réalité
du monde et de l'environnement qui les entourent. J'ai pour ma part, besoin de
sentir la brise du vent, d'admirer la vue à l'infini, de regarder l'océan
s'écouler sur les deux flotteurs du catamaran, qui avance à allure constante...
En fin d'après-midi, tel un dimanche en famille sous la grisaille, nous nous
retrouvons tous autour de la table pour jouer à des jeux de société!
Mardi 28 Mai:
Le vent du Nord s'intensifie fortement au cours de la journée, la mer se
forme petit à petit, les vagues deviennent de plus en plus importantes.
Combinées avec le vent, Elles nous poussent vers le Sud. Ne voulant pas
descendre plus, nous redressons le cap. Nous allons donc devoir naviguer avec
les vagues sur le côté bâbord du bateau.
Le vent se forcissant encore plus, nous allons réduire au maximum la
voilure. Nous affalons finalement la grande voile. Nous laissons seulement le
phoque très peu ouvert.
Fait de bord notifiable à bord. Nous venons d'effectuer, à la
mi-journée, plus de la moitié de la distance jusqu'à la destination finale (par
rapport à une traversée parfaite). Il nous reste alors 1350 miles à effectuer
pour atteindre l'eldorado de la Polynésie française et des archipels de
Gambier.
C'est le jour de l'anniversaire de Leigh. Nous allons dignement le
fêter. L'esprit créatif et l'originalité de notre chef cuistot Adam vont se
manifester. Il va subjuguer ces talents surtout pour le dessert, et sa forme
subjective qui lui donnera, au plus proche de ces obsessions qu'il n'arrête pas
de retranscrire par l'intermédiaire de blagues douteuses. Le plat principal est
un braisée d'agneaux avec purée maison et choux à la crème. L'esprit de fête
est à son apogée quand Leigh soufflera ces bougies! L'atmosphère du bateau
s'améliore instantanément. En effet depuis quelques jours les habitudes et les
différences de caractère n'ont pas facilité la communication entre équipiers.
Cette dernière commençait à se dégrader petit à petit! Mais, à cet instant, les
personnes sont toutes souriantes. Nous rigolons et l'ambiance est au beau fixe!
Le gâteau au chocolat et son glaçage coloré auront un vif succès! Nous le
dégusterons!
Encore une fois, nous avançons dans le noir total lors de la nuit qui
est maintenant installée. Cette réalité est encore plus forte en raison du
temps très couvert, et de la lune qui se lève beaucoup plus tard dans la
soirée... Avancer à l'aveuglette, sans repère, naviguant à plus de 10 nœuds de
vitesse n'est plus vraiment un problème me concernant. Nous restons tout de
même vigilants pendant l'intégralité de notre quart. La prudence reste de mise
quand une personne sort à l'extérieur et, bizarrement, personne n'essaiera de
faire de la Slack Line sur un des filins entourant le bateau! Personne ne
souhaite jouer l'équilibriste, au péril de sa vie!
Mercredi 29 Mai:
En milieu de matinée, le temps est au beau fixe mais le vent a encore
augmenté pendant la nuit. La mer est formée. Le vent et les vagues sont de
côté, avec un angle parfait de 90° par rapport à la marche du bateau. Cela
implique un impact différent. L'eau s'engouffre dans le tunnel (pour rappel
c'est la partie vide entres les deux flotteurs qui offre une surface horizontal
à l'eau). Elle vient taper violemment la coque du bateau provoquant des bruits
sourds quasi permanent. Cet effet est accentué par le point de gravité très bas
de ce bateau et des flotteurs peu élevés. Pendant la nuit, avec la répétition
des chocs et la vieillesse du matériel, un des supports pour l'annexe (bateau
pneumatique semi rigide motorisé), maintenue à l'arrière, s'est fissuré...
Heureusement ce dernier n'a pas cédé et les cordages de renfort déjà installé
ont joué leur rôle. Nous sortons le moteur (posé à l'intérieur de ce
semi-rigide) pour le mettre à l'abri et enlever du poids. Nous utiliserons la
drisse de grande voile pour soulever le soi-disant moteur. A mains nues, à
deux, il ne reste plus alors qu'à le diriger dans la soute de rangement
en-dessous du plancher du cockpit! Nous passerons une bonne partie de la
matinée à sécuriser la situation. L'action principale sera de soulager ce
support grâce à un cordage, glissé en dessous. Tel un pansement, il vient
épouser sa forme. Sa colle, tel le sparadrap, pour exercer une pression
suffisante, sera un taquet d'un côté et le winch de l'autre.
Pendant le déjeuner, à 14h00, une vague énorme va s'abattre sur le
bateau! Mangeant à côté d'André, je l'ai vu arrivé! André a sa place réservée
pour en permanence pourvoir jeté un coup d'œil sur le système de navigation. Il
ne pourra cette fois-ci que constater les dégâts. Le tableau de bord sur lequel
il est fixé, se décroche de son support et tombe violement sur la table à
cartes! Le pilote automatique ne répond plus. Tout à voler dans le bateau,
particulièrement dans le salon. Les assiettes contenant la nourriture, qui
vient juste d'être servies, a été renversée. C'est particulièrement pour André
qui se trouvait en bout de table. Son tee-shirt blanc est maintenant un patchwork
de couleurs. Les personnes assises sur des chaises ont été éjectées vers
tribord. Tous les tiroirs dans les chambres ont été ouverts, la boîte contenant
les œufs s'est explosée par terre. La perte sera importante mais nous sauverons
tout de même le plus gros!
Nous rétablissons la situation assez rapidement... Le plus urgent est le
système de navigation, particulièrement, le pilote automatique! Après avoir
tout débranché et reconnecté le système, tout semble répondre parfaitement.
Nous finirons de manger, puis nous nettoierons et réorganiserons se désordre
apparu en une fraction de seconde (ranger tous les objets tombés, laver le sol,
réorganiser certains éléments sensibles). L'après-midi, se passe sans trop
d'encombre. Les vagues sont cependant toujours imposantes et les creux peuvent
parfois atteindre plus de 7 mètres de hauteur!
Rien d'alarmant! Je décide de sortir prendre l'air. Je me rends à la
proue du bateau, attaché à la ligne de vie par un harnais. Je profite du
spectacle. Je me ramasse des paquets de mer dans le visage. Mais je vis
l'instant présent à fond, prenant parfaitement conscience du lieu très
particulier où je me trouve. Je rentrerai finalement après plus d'une heure
dehors à jouer avec les vagues. Certains équipiers me traiteront de fou! Je
prends cela sincèrement comme un compliment à cet instant!
Il y a des journées au cours desquelles le scénario doit être
dramatique, être mouvementée. L'espoir est tout de même présent que le
dénouement soit une "Happy End" (fin heureuse). Celle que nous vivons
est l'une d'entre-elles. Une nouvelle fois la pression de l'eau sur les coques
donnent le sentiment d'être en temps de guerre et que des micro-torpilles
viennent impacter la coque plusieurs fois par minute. C'est avec plus de relâchement
que je vis ces perturbations aussi bien
auditives que physiques avec les impacts faisant bouger le bateau par accoups.
C'est le quart de Leigh et Alex en ce début de soirée. Je suis resté
éveillé et travaille sur l'écriture de mon blog! Tout d'un coup, une autre très
grosse vague va-nous surprendre une fois de plus. Le pilote automatique
disjoncte. Il se met immédiatement en erreur. Nous perdons très rapidement le
cap. Nous empannons, malgré qu'Alex soit repris la barre! Le bateau a
naturellement abattu, le point de non-retour a été atteint. L'effet combiné
d'une vague et du vent en sont la cause majeure. Le pilote et le système de navigation, après
plusieurs minutes, ne répondent toujours pas. André trifouille les câbles. Il
tente de tous les reconnecter. Premier et deuxième essais infructueux! Alex
toujours à la barre tente vaillamment de maintenir le cap alors qu'il se fait
arroser par des vagues impressionnantes et cela quasiment en continu.
André après un énième essai parvient a le rétablir! Nous rétablissons la
course, nous modifions l'ajustement du phoque en rapprochant le chariot au
centre, et en bordant la voile.
Une deuxième très grosse vague s'écrase sur le bateau quelques minutes
après la fin de l'épisode du premier assaut! Aucun dommage apparent, les
équipements fonctionnent. Il nous semble que nous venons d'avoir une simple
frayeur due au seul l'impact et au bruit engendré par la vague. En fait, nous
venons de passer tout proche d'une catastrophe humaine.
Rosalie sort affolée de sa chambre sans réaliser réellement ce qui vient
de se passer. Seul dans sa cabine, contenant un lit superposé, elle dormait sur
celui du dessous. Le lit du dessus, sur lequel avait été entreposé de
nombreuses affaires et sac hermétiques appartenant au propriétaire, vient de
s'écrouler... Miraculeusement seule la partie aux pieds de Rosalie s'est brisée
sous la force et l'impact de la vague. Il est venu s'écraser sur le lit dans
lequel elle dormait aussi paisiblement que possible par ce temps! Elle aurait
eu comme un pressentiment, un moment de terreur lors de la première phase de
cette attaque. Elle s'était alors recroquevillée sur elle-même. N'étant pas très grande, elle n'a même pas
été effleurée… Elle vient cependant d'éviter de justesse de recevoir plus de
200 kilogrammes sur le corps (poids du lit en bois et des affaires
combinées).... Nous ne voulons même pas imaginer ce qui aurait pu arriver si le
lit s'était littéralement effondré sur son petit corps frêle! Rosalie demande
si elle peut dormir dans un autre lit. Elle part s'allonger calmement sans
montrer aucun signe d'inquiétudes. Elle dormira dans notre cabine sur le lit
d'Alex! Leigh, Alex et moi-même avons pleinement pris conscience des événements
qui viennent de se dérouler. Nous resterons sans voix! Je pense aussi que
j'aurais pu aller la réveiller au milieu de mon prochain quart, pour qu'elle
remplace Alex, qui serait parti se reposer! Ouvrant la porte, je n'aurais pu
que pousser un cri de terreur, tétanisé par la vision apocalyptique qui me
ferait face; Rosalie compressée entre les deux lits... Nous en reparlerons bien
entendu le lendemain. Rosalie a conscience que sa bonne étoile vient une
nouvelle fois de lui sourire. Elle préférera en rire, en nous demandant ce que
nous aurions fait de son corps sans vie. Lui répondant, de façon très terre à
terre, que nous aurions dû ramener son corps aux autorités du pays de
destination, elle nous répondra qu'elle aurait préféré que nous jetions son
corps dans les fonds sans fin de l'océan Pacifique. Aucune réponse à apporter à
cette affirmation. Nous pouvons juste en voir le bon côté et aimer ce sentiment
de légèreté!
La lune fera son apparition vers minuit indiquant la fin d'une journée
chargée en émotion. Le vent va petit à petit changer de direction. Malgré le
mauvais temps, qui continue, nous n'aurons plus d'alerte sérieuse!
Jeudi 30 Mai:
Le temps est toujours maussade, la mer agitée. Le changement de
direction du vent, venant maintenant du sud-est, nous permet finalement
d'entreprendre notre remontée vers le Nord en direction de Gambier! Cette
journée sera assez calme avec de beaux moments tels le lever et le coucher de
soleil. Nous sommes complétement décalé au niveau du temps et de la journée
type. Premièrement, sur le bateau, nous sommes toujours à l'heure de la
Nouvelle-Zélande. Puis nous avons énormément avancés vers l'est. Le lever de
soleil est maintenant avant 5h00, le matin, et le coucher avant 16h00! La vie à
bord est réglée par les quarts qui se succèdent, par le besoin de repos de
chacun, et par les repas pris ensemble. La fatigue commence à se faire sentir
dans les rangs. Les dernières nuits ont été éprouvantes pour le mental et
l'organisme de ceux qui n'ont pas eu leur quota de sommeil. Cet état de fait a un impact non négligeable
dans les relations à l'autre et, obligatoirement, sur l'ambiance en général. Le
fait que nous ne sommes pas totalement indépendants lors d'une manœuvre n'aide
pas André. Il ne comprend pas la multitude d'erreurs qui se produisent encore,
au vu, pour lui, de la simplicité de la séquence d'actions à effectuer. La
fatigue, le stress et le cumul de petits détails vont vite l'irriter. N'étant
pas un bon orateur, ni la meilleure personne qui existe pour la communication à
l'autre, il va garder cela en lui. Râlant toujours plus fort sur celui qui
aurait le malheur de se tromper, il accumule néanmoins en lui des frustrations
qui vont être difficile de totalement occultées!
Il va avoir la bonne idée de nous prendre tous individuellement dans sa
chambre. Il posera des questions sur la navigation, les cordages, les
procédures pour une manœuvre donnée et les actions associées. Le résultat sera
probant. Les manœuvres font sensiblement s'améliorer. La pratique et les
habitues ont, pour cet aspect, une importance fondamentale! Essayons que le
bonheur du capitaine reste le plus grand possible pour conserver la bonne
ambiance dans les rangs des équipiers!
Vendredi 31 Mai:
Le soleil est revenu. Le vent a fortement chuté et changer de direction.
Nous avons maintenant le vent dans le dos. La houle formée sur la mer prend
toujours un peu plus de temps que le vent pour évoluer. Mais très vite, nous ne
ressentons plus ces effets de la même manière. Le bateau fait maintenant un
mouvement de sinusoïde par rapport à une mer d'huile, repère du zéro
d'altitude. Plus aucune vague ne viendra fracasser notre embarcation. Nous
glissons à vitesse constante sur ce milieu liquide lui aussi en perpétuel
mouvement et évolution!
La matinée sera le moment propice pour un grand nettoyage. Nous allons
laver le bateau de fond en comble pour le dessalléniser autant. Nous nettoierons
le sol, les murs. Nous ouvrirons les hublots pour laisser l'air frais rentrer.
Nous réorganiserons les vivres, en faisons un inventaire. Nous déterminerons
l'ordre de consommation de denrées, plus ou moins périssables, à courtes ou
longues durées! Nous ferons sécher nos vêtements, nos matelas et draps engorgés
d'humidité!
L'après-midi sera plutôt ludique. Nous le consacrons plus à des
activités de détentes. Nous jouerons de nombreuses parties d'Uno. Je rejouerai
encore une nouvelle fois aux échecs, jeu que j'affectionne particulièrement et
auquel je n'avais pas joué depuis bien longtemps.
En début de soirée, je vais passer du temps dans la cuisine à concocter
un repas pour mes équipiers: tarte à la tomate avec salade, guiche lorraine et
mousse au chocolat en dessert! Les compliments d'Adam chef confirmé me
toucheront. C'est encore une fois le cœur léger que je partirais me coucher,
pour quelques heures, avant de prendre mon quart, pendant la nuit.
Samedi 1ier Juin:
Coucher depuis moins de 4h00, après mon quart en fin de nuit, deux
personnes viendront successivement voir si je dors encore. Ce qui n'était
jamais arrivé! Par deux fois je me rendormirai un peu. Mais une activité
incessante sur le bateau va définitivement me faire émerger de mon sommeil legé.
Sortant de ma cabine, je vois que tout le monde est très actif. Je mets
un peu de temps à comprendre ce qui se passe. Rien de très grave finalement,
mais un taquet du bateau vient de lâcher. Il supportait le cordage de
prévention d'empannage de la grande voile. Il n'a pas résisté en raison de la
pression exercée. André et Leigh s'occupent des réparations: colmatages des
trous, mise en place de résine, protection contre l'intrusion d'eau salée dans
le bateau. Les autres ont commencé un vrai chantier. L'effet boule de neige a
eu lieu. Adam, en se servant des outils pour la réparation, s'est aperçu qu'un
compartiment à outils trempé dans de l'eau salée. Ils ont donc commencé le
nettoyage complet de ce dernier. La plus grosse tâche sera de passer de l'antirouille
sur le moindre outil, la moindre vis, le moindre boulon... et réorganisé les
boîtes de rangement! Je me mets à la tâche avec eux!
La matinée va se vaporiser comme l'eau de la mer s'évapore sous l'action
du soleil. Nous profiterons d'un petit déjeuner tardif agréable. Nous
larguerons les ris de la voile principale, pendant les heures de mon quart,
alors que le vent se meure. Nous atteignons finalement rapidement la voilure
maximale. Continuant à fabriquer notre pain que nous enfournons
quotidiennement, nous dégusterons au déjeuner, après 13h30, de délicieux
sandwichs de fabrication artisanale. Avec un coucher de soleil illuminant le
ciel dès 15h25, l'après-midi semblera alors très courte.
Le début de soirée n'aura jamais été aussi calme. Beaucoup de personnes
fatiguées passeront leur temps dans leur lit. Allant me coucher à minuit, je
pourrais, depuis le petit hublot de ma chambre, admirer la lune éclairant une
mer assez calme. Je m'endormirai avec ce spectacle, et son image encore collée
sur la rétine de mes yeux!
Dimanche 2 Juin:
Je me réveille dans la même position, à 5h00 du matin, avec la vue sur
un magnifique lever de soleil. Ce dernier embrasse le ciel avec des tons
rougeâtre et orangé marquant une nouvelle fois mon esprit!
Malgré un grand ciel bleu, un vent austral qui a chuté drastiquement, et
un bateau très stable, il y a toujours des creux de plusieurs mètres de
hauteurs. Ces derniers sont très espacés et viennent du Sud. Il s'agit
vraisemblablement des dernières reliques naturelles d'une tempête, qui a sévit,
il y a quelques jours, à des centaines de miles nautiques d'ici. Aucune trace
ne sera laissée et très bientôt cela ne sera qu'un souvenir lointain, que seule
la personne, l'ayant vécu à son apogée, s'en souviendront. Remontant toujours
vers le Nord, elles arrivent par l'arrière du bateau, nous permettant de ne pas
vraiment en ressentir les effets!
Les habitudes sont de plus en plus coriaces sur Sarava. Voilà plus de 10
jours que nous sommes partis. Nous avons envie de quelque chose d'inédit qui
permettrait de casser une routine maintenant établie, parfois même un peu
pesante! Nous enroulons totalement le phoque, nous affalons la grande voile. Le
bateau possède alors très rapidement une vitesse quasiment nulle. Exceptionnellement
se fut le but recherché. Pouvoir plonger en plein milieu d'un océan reste comme
un projet un peu fou! Nous n'avons à cet instant plus qu'à nous jeter par-dessus
bord pour le réaliser. Content de quitter, pour quelques minutes, "ce vase
clos", nous nous en donnons tous à cœur joie. Aussi surprenant que cela
peut être, la température de l'eau est bonne. Elle est précisément à 20°C.
L'eau et sa couleur sont impressionnantes. Je réalise que nous nageons au
milieu d'une masse d'eau incroyable! Au-dessous de nos petits corps, qui
flottent à la surface, plusieurs milliers de mètres nous séparent de la croûte
terrestre.
Nous nous n’éloignerons pas trop du bateau qui avance toujours à 3 nœuds
de moyenne. Nous nous nous ferons tirer par ce dernier à l'aide d'une corde.
Nous effectuerons de nombreux plongeons. Après ce lapse de temps sans avoir
quitté son bord, j'apprécie grandement de pouvoir regarder le bateau d'un autre
point de vue. J'aime me retrouver dans ce milieu, qui nous entoure depuis le
départ, tellement magnifique mais si facilement hostile aussi! Lors de cet
épisode, sûrement lors d'un plongeon, je vais perdre mon collier en dent de
crocodiles. Ce cadeau d'une tribu en Papouasie Nouvelle-Guinée avait une
importance non négligeable, un lien spirituel fort avec ce pays que j'ai adoré.
Je le portais 24h00/24 depuis plus de 9 mois. Un sentiment de peine m'envahie!
Mais y avait-il un meilleur endroit que les fonds de l'océan Pacifique pour
voir ce souvenir matériel important à mes yeux se détacher de moi? Je ne pense
pas. Je regagne le sourire en me remémorant tous ces souvenirs exceptionnels.
Nous enchaînerons avec une viande délicieuse cuite au charbon de bois
sur le barbecue présent à bord. Je commence néanmoins à saturer de cette
opulence de nourriture et de protéines. Nous avons faits des fabuleux repas
matin, midi et soir. Mais Je ne suis pas habitué à manger autant et aussi
riche. Je ne suis pas le seul dans ce cas! Nous n'allons pas nous plaindre mais
le retour à plus de simplicités sera aussi très agréable!
Quoi qu'il en soit, le fait que nous avons réussi, quasiment tous les
jours, à manger midi et soir tous ensembles restera comme quelque chose de très
important, pour moi, et de rare dans une traversée d'océan. Je passerai la fin
de l'après-midi à la proue du bateau, regardant ce paysage sublime, avec une
vue dégagée à l'infini. Le coucher de soleil viendra compléter cette journée au
paradis durant laquelle tout le monde aura été vraiment décontracté!
Lundi 3 Juin:
Mon quart de nuit s'effectue avec la lune qui éclaire le ciel. Malgré
cette lumière imposante, nombres d'étoiles sont visibles dans le ciel. Très
vite la lumière du jour va succéder à cette semi-obscurité. Le lever de soleil
aura lieu à 4h02. Les couleurs ne sont pas aussi impressionnantes que les jours
précédents. Mais c'est toujours un plaisir, pour moi, de pouvoir profiter de ce
moment qui ponctue réellement le début d'une journée. J'apprécie aussi ces instants
face à la nature, au calme, alors que tout le monde dort. Avec Rosalie, nous
sommes les seuls réveillés.
A 10h00, un poisson mort à l'hameçon. Depuis quelques jours et les accalmies
qui se sont manifestés, nous essayons de pêcher à la traîne. Trois cannes à
pêche sont installées sur la poupe du bateau! La mer plus calme et la vitesse
du bateau ayant diminué étaient des paramètres nécessaires à la réussite de
cette activité. Il est reconnu qu'au-dessus de 9 nœuds de moyenne, la chance de
pêcher est assez rare. C'est encore plus le cas quand vous vous retrouvez sur
un océan dont la houle est imposante. Une vitesse de croisière de 5 à 7 nœuds,
avec une mer calme, est idéale.
C'est l'excitation à bord lorsque le fil de pêche dans le barillet se débobine
instantanément. Son bruit particulier ne trompe pas! Dans la seconde, Adam est
sur le pont. Nous réduisons la vitesse du bateau. Enroulant le phoque et
pointant le bateau face au vent, nous venons de faire chuter la vitesse à moins
de 4 nœuds. Adam s'attèle à la tâche pour tenter de ramener la proie à bord.
Après de longs efforts, il y parvient finalement. Lors la phase finale, alors
que le poison est déjà sur la jupe tribord (partie à l'arrière de la coque
droite du bateau qui descend en escalier jusqu'à la surface de l'eau), il s'harponne
avec la gaffe. Cette dernière avec une pointe métallique très aiguisée à son
extrémité pénètre dans son mollet droit. Pris de douleur, il la laisse
s'échapper. Elle tombe dans l'eau. Il arrive finalement avec André à maîtriser
la pêche du jour, ce poisson imposant des hauts fonds. Il s'agit d'un Mahe-Mahe.
Mais une première victime, en sang, est à déplorer dans nos rangs!
Nous devons manœuvrer pour récupérer la gaffe. André est à la barre.
Pour être plus efficace et précis, il met les moteurs en marche. Je suis
désigné pour être la personne qui plongera. Une fois dans l'eau, je l'atteins
aisément. Je m'apprête à faire demi-tour. Je la tiens alors, à peine, en main.
Je suis trop dans l'action et l'euphorie d'avoir accomplie ma tâche. Je ne
prête pas assez attention aux éléments qui m'entourent et à leur perpétuel
mouvement. Une vague va me faire remonter la main qui la tient. Le crochet
pointu est tranchant vient se planter dans la paume de mon pied gauche. Je ne
réfléchis pas. Je remonte aussi vite que possible sur le bateau, pestant contre
ma stupidité et mon manque de clairvoyance.
Il y a maintenant 3 sangs d'être vivants se répandant sur l'extrémité
arrière des deux coques du bateau. La couleur de mon sang d'un rouge intense se
répand petit à petit dans l'océan. La capture de ce poisson aura été d'une
forte intensité. La proie aura fait des dégâts dans les rangs des assaillants.
La situation est pourtant maintenant stabilisée. Nous reprenons notre marche en
avant. Après l'avoir évidé, soignés nos blessures, qui s'arrêtent finalement de
saigner, nous dégusterons une partie du poisson en sashimis (poisson frais non
cuit) avec de la sauce soja.
La plaie ouverte dans la paume de mon pieds est profonde et elle fait
plus de 2 centimètres de long. Mais rien ne semble avoir été touchée. Il s'agit
simplement d'une ouverture béante dans la chair. J'ai une fâcheuse tendance à
cumuler ces petites histoires qui jouent avec ma santé et les nerfs des
lecteurs qui veulent me savoir en pleine santé! SI cela continue, je vais peut-être
me faire surnommer "Mister Gaffe"! Heureusement nous n'en sommes pas
encore là! Quoi que? En tout cas, cela ne m'empêche pas de continuer mon
aventure. Et puis, il faut que quelques petites péripéties m'arrivent pour que
je ne puisse pas affirmer que ce voyage est parfait! Pourtant il frôle avec
l'extraordinaire de mon point de vue, celui d'une personne heureuse d'être sur
les routes du Monde!
N'ayant aucune douleur, je décide de barrer. Je remplace Leigh à la roue
à gouverner. Pendant quelques minutes, ça sera très calme, trop calme. Le vent
ayant chuté à moins de 8 nœuds, le bateau peine à dépasser les 6 nœuds. Puis,
petit à petit, le vent va se raviver. Il dépasse très rapidement les 18 nœuds.
Je peux alors m'amuser avec les vagues pour les surfer du mieux possible. Les
grains s'enchaînent. Chacun d'entre eux s'accompagne de la force du vent qui se
décuple de nouveau. Je vais apercevoir un, puis deux, puis trois arcs-en-ciel.
Le dernier d'entre eux va s'amplifier. La grosse averse qui nous tombe dessus
alors que le soleil rayonne de plus belle, tout autour de nous, en sont les
catalyseurs! Je peux alors admirer un double arc-en-ciel complet, plongeant
dans l'eau par les deux extrémités pour ce duo invraisemblable. Les couleurs sont
d'une intensité remarquable. Ils sont sûrement les plus beaux que je n'ai
jamais pu observer de toute ma vie. J'aurais aimé partagé ce moment avec les
autres mais ils sont tous endormi, se reposant dans leur cabine ou allongés sur
le canapé dans le salon. Alex de quart avec moi finira par m'entendre
l'appeler. Il viendra profiter de la fin de cet événement naturel sensationnel.
Une heure plus tard, le déjeuner est prêt. Au menu le Mahe-Mahe revenu
dans la poêle avec de la panure. Sa chair se prête beaucoup mieux à cette
cuisson rapide, un "aller-retour" de quelques secondes sur les deux
faces du poisson pour conserver sa chair tendre. C'est ainsi que se révèle sa
saveur! Les filets ont été minutieusement préparés par Adam. Il n'y a aucune
arrête! L'heure de mon quart a sonné. Avec Alex puis avec Rosalie, et bien sûr
toujours André aux commandes, nous enchaînons les manœuvres. Nous prenons des
ris, au fur et à mesure que le vent augmente. Nous passerons de la voile
complète, au premier ris, puis le deuxième et finalement le troisième lorsque
les vents dépasseront les 30 nœuds de moyenne. Dame nature nous offre un
spectacle fabuleux au quotidien et un peu, beaucoup, d'action! Une fois encore
le coucher de soleil sera somptueux.
Nous n'avons pas encore vraiment le sentiment d'être proche des
tropiques. Les vents froids venant du Sud nous en dissuadent. Même le soleil
réchauffant l'atmosphère ne parvient pas à nous en convaincre. Pourtant
l'arrivée aux abords de la Polynésie est réelle. Dans la journée nous
atteindrons les derniers 300 miles de navigation à effectuer pour atteindre les
archipels de Gambier, archipels les plus orientales de la Polynésie.
Mardi 4 Juin:
Voilà maintenant 15 jours que nous sommes partis. En matinée, nous
attaquons les dernières 24h00 prévisionnelles de cette traversée. Il y a un
grand soleil, le ciel est bleu. Cependant, la mer est encore très agitée avec
des vents de plus de 25 nœuds de moyenne. Le soleil fait ressortir cette
magnifique couleur bleue turquoise de l'eau pendant les premières heures de la
journée. Les nuages vont ensuite prendre le relais. Nous continuons de nous
faire secouer dans tous les sens, comme dans les parcs d'attractions, et les
manèges à sensations fortes. Nous nous sommes tous habitués à ces conditions.
Même les personnes les plus touchés par le mal de mer ont fait front! Elles
sont maintenant moins sensibles à ces conditions non naturelles, pour un simple
terrien. La combinaison du roulis et du tangage n'aide pas à établir un vrai
confort!
Un autre aspect incongru va ponctuer la fin de ce voyage. Nous avons en
permanence cherchait la performance et les meilleurs réglages pour aller le
plus rapidement possible à notre point d'arrivé sans, tout de même, mettre à
mal la structure du bateau. Nous allons maintenant trop vite! Hilarant, non? En
effet, à cette allure nous arriverons en plein nuit. Or une majorité des
archipels de la Polynésie française sont des lagons plus ou moins vastes entourés
par des plateaux de coraux. L'archipel des Gambier ne déroge pas à la règle. La
seule façon de pénétrer dans ces lieux est de franchir une passe. Cette
dernière peut parfois se révéler dangereuse en raison de forts courants et de
faibles profondeurs! Ne connaissant pas les lieux, cela n'est pas envisageable,
ou du moins raisonnable, de tenter le diable si proche du but et après autant
de péripéties. Déréglant le bateau et ces voiles, nous visons maintenant
l'arrivée mercredi matin en début de matinée. Je ferais mon dernier vrai quart
de nuit de 18h00 à 22h00. Ce soir, exceptionnellement, je file tout de suite me
coucher! Je suis excité par cette arrivée qui se dessine dans les prochaines
heures. Je m'endors le cœur légé!
Mercredi 5 Juin:
J'aurais la très bonne idée de me réveiller instinctivement à 3h00 du
matin. Il fait encore nuit! Nous ne sommes plus qu'à quelques milles nautiques
de l'archipel. L'horizon va s'éclaircir petit à petit.
Il est 3h40, quand les premières lueurs du jour apparaissent. Je suis
dans la retenue, mais je suis pris d'une émotion intense qui me submerge! Nous
pensons très vite deviner, avec André, les premières ombres qui se dessinent à
l'horizon. Puis-je laisser exploser ce cri barbaresque qui est en moi? Le ciel
s'éclaircissant, nous en avons très vite la confirmation. Ceux sont bien les
premières îles de l'Archipel. Je peux laisser ces sensations puissantes
m'envahir, et crier, avec beaucoup d'émotions: "Terres en Vue!"
Nous allons rester à l'extérieur pour apprécier chaque seconde de cette
arrivée. Les îles vont se dessiner de plus en plus clairement. Malgré le temps
un peu couvert, nous sommes les spectateurs d'un magnifique lever de soleil.
Les rayons transpercent les nuages et illuminent les îles. A 6h00 du matin,
heure de la Nouvelle-Zélande, nous rentrerons dans le lagon! Une nouvelle prise
fête notre arrivée. Réduisant la vitesse du bateau et le manœuvrant
correctement, nous réussissons à remonter un thon d'une belle taille. Pas le
temps de s'occuper de la prise immédiatement. Nous nous dirigeons vers l'Île
principale de l'archipel; Mangaréva! Les couleurs de l'eau sont magnifiques.
Elles créent un véritable patchwork de bleus et de verts! Après quelques manœuvres,
nous ancrons en face de Rikitea, ville principale de l'Archipel! Il n'y a pas
ici de port ou de marina, tous les voiliers, une quinzaine, sont au mouillage.
Notre position une fois le bateau ancré est 23°07' Sud, 134°54' Ouest! Nous
venons de parcourir plus de 5000 kilomètres sur un voilier. Je pense que je
n'ai jamais eu l'opportunité d'apprécier autant une arrivée dans un nouveau
pays. Nous avons amplement mérité notre séjour sur ces îles magnifiques du
Pacifique, territoire français, pourtant si loin des réalités de la métropole!
Il est 8h00 ce Mercredi 5 Juin 2013, heure de la Nouvelle-Zélande. Il
est maintenant, ici, heure locale, 10h00, le Mardi 4 Juin 2013! Nous venons
d'effectuer un retour dans le temps spectaculaire! Cet état de fait est une anecdote
intéressante, ayant pourtant peu d'impact sur le moment présent vécu!
Le plus important est l'état de bien être dans lequel nous nous
trouvons. Je viens de vivre un rêve. Nous venons de vivre un moment intense,
riche en émotions, comme sûrement, trop peu de personnes auront la chance de
vivre ne serait-ce qu'une seule fois dans leur vie! Nous nous apprêtons à
regagner la terre après de longs jours sans avoir réellement quitté le bateau,
sans avoir vu d'autres êtres vivants! En attendant, de passer à la douane, pour
effectuer les démarches administratives, nous lavons et rinçons le bateau. Nous
le rangeons et le réorganisons. Nous allons aussi fêter dignement cette arrivée
et l'Anniversaire d'Adam, à l'heure Néo-zélandaise!
L'heure de fouler de nouveau des terres, de marcher sur un sol fixe, et
non, en perpétuelles oscillations, est arrivé! Qui plus est, ces terres m'ont
toujours été décrites comme un paradis sur Terre, comme un vrai bijou... Nous
sommes prêts à débarquer! J'ai envie d'aller à la rencontre des locaux...
J'espère néanmoins ne pas rester trop longtemps éloigné du pont d'un
bateau! Je ferais le nécessaire pour avoir les opportunités de renouveler ces
expériences maritimes intenses et fortes. Naviguer sur d'autres océans, vivre
d'autres navigations sont clairement dans mes intentions à court ou moyen terme!
Une traversée océanique reste un événement sensationnel à vivre dans sa vie.
Alors pourquoi ne pas dupliquer autant que possible ces moments sensationnels?
L'appel de la mer me rattrapera sûrement très vite et je compte bien lui
répondre, en écho, positivement...